IRIS
LES IRIS

 

Numéro six (28-09-99)
Numéro spécial consacré aux déclarations du gouvernement à Hourtin

« LES IRIS » vous offre des informations sur les activités de l'association, et sur l'actualité Internet, sans prétendre à l'exhaustivité. La lettre est aussi une invitation à prendre part à notre réflexion. Elle est complétée par l'agenda d'Iris (http://www.iris.sgdg.org/info-debat/agenda99.html). Ce numéro six est un numéro spécial, constituant les commentaires d'Iris suite aux déclarations du gouvernement lors de la vingtième Université d'été à Hourtin, du 23 au 27 août 1999. Ce numéro complète le communiqué de presse d'IRIS. On trouvera les textes des interventions gouvernementales à Hourtin. 23 au 27 août 1999 à : http://www.internet.gouv.fr/hourtin99/accueil.htm

SOMMAIRE

PRÉAMBULE : COMMUNIQUÉ DE PRESSE D'IRIS DU 30 AOÛT 1999
Au-delà des beaux discours, la société de marché s'organise

INCOHÉRENCES ENTRE DISCOURS ET ACTES
Une fausse démocratie
Une solidarité inexistante
Télécommunications : un service public défaillant

CONTRADICTIONS INCOMPRÉHENSIBLES
Soutien aux amendements Bloche, mais proposition d'un organisme de « corégulation »
Des aménagements nécessaires aux lois existantes, mais proposition d'une loi fourre-tout

BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN
Transposition tardive de la Directive sur la protection des données personnelles
Transposition précipitée de la future Directive sur la signature électronique
Numérique hertzien : à qui iront les canaux supplémentaires ?
Droit d'auteur et exception culturelle : tout reste à faire

PRÉAMBULE : communiqué de presse d'IRIS du 30 août 1999

Au-delà des beaux discours, la société de marché s'organise

Les interventions du Premier ministre et de plusieurs membres du gouvernement ont quasi-exclusivement porté sur les nouvelles technologies et la « société de l'information » lors de la vingtième université d'été de la communication à Hourtin. IRIS ne peut que se féliciter de cet intérêt des représentants de l'État pour les enjeux politiques, économiques et sociaux que représente Internet. En revanche, le contenu des différentes interventions suscite toute notre inquiétude par rapport au traitement de ces enjeux, révélateur d'une dichotomie entre les discours et les actes du gouvernement.

Lionel Jospin promet un « espace de communication démocratique, solidaire et pluraliste », mais l'Internet non marchand, l'Internet solidaire et l'accès universel à Internet ne trouvent pas leur place dans cet espace de communication tout entier voué au commerce électronique.

Tout aussi grave, le Premier ministre propose la mise en place d'un organisme de « corégulation », encore plus inutile et susceptible de toutes les dérives qu'au moment où nous contestions, il y a plus d'un an déjà, cette proposition du Conseil d'État. Cette annonce du Premier ministre intervient malgré son soutien aux amendements Bloche, qui enlèvent toute justification éventuelle à l'existence d'un tel organisme. Nous ne pouvons nous expliquer une telle contradiction, et nous continuons à nous opposer à la mise en place d'un tel organisme.

Cette proposition du gouvernement s'inscrit encore plus curieusement dans le cadre de l'annonce d'un projet de « loi sur la société de l'information », porté par le ministre de l'Économie. Si des aménagements à notre droit sont nécessaires pour encadrer le développement du commerce électronique, notamment en vue de la protection du consommateur, une loi fourre-tout serait en revanche la pire des solutions. Cette option serait d'ailleurs en contradiction avec les choix des pays partenaires et institutions dont nous sommes membres, et même avec ceux du gouvernement jusqu'ici, comme en témoignent les textes de loi déjà préparés ou déjà votés, dont ceux cités par le Premier ministre dans son intervention. On s'étonne à ce propos de la précipitation avec laquelle des dispositions sur la signature électronique seront proposées, alors même que la loi de libéralisation totale de la cryptographie semble remise à une date ultérieure.

Enfin, tout reste à faire sur l'un des sujets les plus cruciaux, celui de la protection du droit d'auteur et de la propriété intellectuelle. Nous nous félicitons toutefois de la tendance annoncée par Lionel Jospin de ne pas transiger avec le principe du droit d'auteur. Plus précisément, les positions annoncées par la ministre de la Culture sur son refus d'un « AMI-bis » et son souhait de ne pas limiter l'exception culturelle aux contenus audiovisuels classiques reçoivent tout notre soutien : toutes les oeuvres de l'esprit devraient être ainsi protégées, et l'interdiction de leur brevetabilité devrait être confirmée. C'est, nous l'espérons, cette position qui sera défendue par le gouvernement dans son ensemble lors des prochaines négociations du « cycle du millénaire » à l'OMC.

INCOHÉRENCES ENTRE DISCOURS ET ACTES

Une fausse démocratie

Une fausse démocratie s'est installée depuis l'annonce du PAGSI en janvier 1998 (http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/pagsi.htm). Le leurre principal d'Internet, celui d'une prétendue « démocratie directe », prime sur une démocratie participative réelle. Les « consultations » se font à grand renfort de forum sur Internet, uniquement accessibles à l'infime partie de la population ayant accès à Internet, et sans qu'aucune synthèse ne soit jamais produite, sans qu'un vrai débat ait lieu. Cela ne date pas d'hier, le problème est que cela dure (IRIS. Lettre électronique N.1. 19 janvier 1998 : http://www.iris.sgdg.org/les-iris/li1.html#I-2).

Une société qui n'organise plus le « vivre ensemble », mais qui laisse les plus riches de ses composantes faire chacune valoir ses intérêts privés, est une société qui perd son sens. Le rôle d'un État moderne dans une économie de marché est d'éviter qu'une société de marché s'organise. Malgré les beaux discours, ce rôle-là n'est pas rempli dans les faits. Il est à ce titre révélateur que les associations et les syndicats sont non seulement complètement absents de ces discussions, mais qui plus est ignorés dans les décisions relatives à cette « société de l'information » : pas un seul mot sur les modifications profondes du travail - et notamment la précarité des emplois créés - entraînées par les nouveaux développements, ni sur la nécessaire extension des libertés syndicales aux nouveaux moyens de communication.

Sur ce dernier point, le journal « Entreprise et Carrières » rapporte, dans un article sur l'exercice du droit syndical sur Internet et les Intranet des entreprises, la réponse de la ministre de l'Emploi et de la Solidarité à une question à l'Assemblée. En substance, la ministre déclare que rien n'est prévu dans le droit à cet égard, et que ce sont les entreprises qui décident elles-mêmes d'octroyer ce droit ou non, et dans les conditions qui leur semblent souhaitables. Ce constat, tout le monde l'a fait. En revanche, il ne semble pas question de mettre ce point à l'ordre du jour du Parlement, de sorte que les lois régissant le droit syndical tiennent compte des nouveaux moyens de communications disponibles au sein des entreprises privées comme des établissements publics. Il devient pourtant urgent de s'en préoccuper, afin que l'exercice du droit syndical ne devienne pas « la faveur du prince » (lire le dossier réalisé par « Entreprise et Carrières » numéro 489 du 6 au 12 juillet 1999. http://www.entreprise-carrieres.presse.fr/). À lire aussi régulièrement, les très intéressantes chroniques de Monique Fréchette, éditrice de la revue en ligne « L'Itinérant électronique » (http://www.itinerant.qc.ca) : de très complets dossiers sur le droit du travail et les libertés syndicales, avec un bon suivi de la situation française.

Une solidarité inexistante

Une solidarité inexistante caractérise cette « société de l'information » qui se met en place. Cette année encore, aucune mesure n'est prévue pour l'insertion sociale et la lutte contre l'exclusion. Les actions et projets, tous menés par des acteurs associatifs, ne trouvent de soutien qu'auprès de quelques fondations privées. À l'évidence, il n'y a ni volonté politique de promouvoir un Internet solidaire, ni même l'embryon d'une réflexion à ce sujet.

Là encore, la réalité pulvérise les beaux discours : si le taux de raccordement des lycées et collèges a effectivement beaucoup augmenté, il est principalement à la charge des collectivités territoriales. Quant à l'utilisation de cette infrastructure, elle reste soumise sur le terrain à la bonne volonté d'enseignants motivés et formés, le plus souvent à titre personnel. Finalement, l'enseignement de l'option informatique dans les lycées est supprimé, et la volonté de « rendre intelligibles les moyens et systèmes informatiques que chacun est appelé à utiliser dans sa vie quotidienne » est remplacée par une « mise à niveau » pour les élèves qui au collège n'auraient pas appris à se servir d'un traitement de texte et d'un tableur. Veut-on se contenter de former de bons « ouvriers de la société de l'information » ?

On est donc forcé de se demander où est l'ouverture de l'école sur la société. On pourrait commencer par ouvrir les locaux et mettre à disposition le matériel informatique en soirée, les fins de semaine et pendant les vacances, au bénéfice des associations de quartier, qui ne demandent qu'à utiliser ce matériel pour la formation des publics auxquels elles s'adressent. Puisque un comité interministériel a été formé pour les nouvelles technologies, ce qui est une excellente chose, il devrait inscrire à son ordre du jour une coopération de cet ordre entre le ministère de l'Éducation et celui de la Solidarité. Mais on ne peut que conclure à l'absence de volonté politique de se préoccuper de ces questions, quand on consulte le site du ministère de l'Emploi et de la Solidarité : aucun projet portant sur l'usage d'Internet pour des actions de solidarité, aucune réflexion sur ces questions.

Télécommunications : un service public défaillant

S'agissant des télécommunications, privatisées, la baisse de leur coût est laissée à l'entière décision du marché, et ne concerne par conséquent que les secteurs fortement concurrentiels. La récente offre de France Télécom du forfait « 20 heures pour 100 FF » est un progrès, mais qui reste loin de ce que l'on peut espérer, notamment à cause des conditions horaires d'application de ce tarif. Quant à l'annonce de la demande d'homologation du tarif de connexion à la durée à raison de 28 centimes par minute, c'est exactement...le tarif normal des communications locales, toujours trop chères, et sur lesquelles France Télécom n'a par ailleurs perdu que moins de 3% du marché. Aucune originalité dans cette offre, elle ne fait qu'entériner la tendance des offres d'« accès gratuit », le fournisseur de cette offre pouvant être à présent n'importe quel fournisseur d'accès (Wanadoo compris), qui se verrait reverser une partie du prix de la communication locale. C'est là une décision d'autant plus avantageuse pour France Télécom qu'elle implique, en l'absence de plus de précision, de payer les communications au tarif normal dans le cadre de cette offre, même pendant les heures où le tarif est normalement réduit !

France Télécom, dont, rappelons-le, l'État est actionnaire majoritaire, non seulement continue à faire des profits sur le secteur non concurrentiel et quasiment captif des communications locales, mais de surcroît limite soigneusement ses pertes sur ce secteur, par une offre d'esbrouffe (économie du prix de l'abonnement auprès d'un fournisseur d'accès). Là encore, une vraie volonté politique de garantie du service public des télécommunications, et de l'accès à Internet, ne saurait passer que par une forte diminution du prix des communications téléphoniques locales. Si cette décision était enfin prise un jour, elle nous épargnerait de surcroît de voir fleurir les « offres mirobolantes » des autres opérateurs ou fournisseurs d'accès. Comme l'analyse le journal Libération, ces « prix cassés », proposés à perte pour les fournisseurs concernés, ont finalement plus pour objectif de faire baisser les prix demandés par France Télécom aux opérateurs concurrents pour l'utilisation de son réseau, que de faire baisser les tarifs pour l'utilisateur final (cf. Libération du 8 septembre 1999 : http://www.liberation.fr/multi/actu/semaine990906/art990908b.html).

L'annonce de déploiement par France Télécom de la technologie ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line, une technologie qui permet des communications de données à haut débit en utilisant les lignes téléphoniques standards constituées de fil de cuivre, moyennant des modifications d'équipement en bouts de ligne) est plus intéressante, mais reste confinée à quelques quartiers, et ne sera de toutes façons pas étendue à l'ensemble du territoire. France Télécom envisage plutôt une technologie basée sur le satellite pour les zones à faible densité de population (cf. l'intervention du président de France Télécom à Hourtin. 23 août 1999 : http://www.francetelecom.fr/vfrance/actualite/evt.htm). En attendant que tout cela se mette en place, pas un mot du gouvernement sur un éventuel service universel, à défaut de service public. Enfin, qu'il s'agisse du câble ou de l'ADSL, tous deux permettant la connexion permanente et donc la possibilité technique d'être son propre serveur, les contrats léonins des sociétés qui commercialisent ces offres empêchent en pratique cette possibilité, soit par une limitation plus importante que celle imposée par la technologie du débit en remontée, soit par une tarification bien plus élevée du service.

CONTRADICTIONS INCOMPRÉHENSIBLES

Soutien aux amendements Bloche, mais proposition d'un organisme de « corégulation »

Le gouvernement réitère son soutien aux amendements Bloche à la loi sur la liberté de communication (IRIS. Dossier consacré à la loi sur la liberté de communication. http://www.iris.sgdg.org/actions/loi-comm), et écarte tout danger de création d'une autorité indépendante spécifique pour la régulation des contenus sur le réseau. Nous nous en félicitons d'autant plus que nous avons réclamé depuis la création de l'association un tel texte, qui clarifie la responsabilité des intermédiaires techniques, tous en respectant les droits des citoyens. En effet, le texte précise qu'un fournisseur d'accès ou d'hébergement ne doit supprimer un contenu que lorsqu'une autorité judiciaire l'estime délictueux. Nous nous félicitons également du message très clair lancé au CSA, comme à l'ART, autorités de régulation existantes, indiquant que leurs compétences ne seront pas étendues à Internet.

Cette annonce est d'autant plus heureuse que, pour ce qui concerne le CSA, les appétits étaient déclarés : après la proposition d'amendements en ce sens à la loi sur la liberté de communication de la part de certains députés, Hervé Bourges avait lui-même publié une tribune dans le journal Le Monde, affirmant cette volonté au point d'organiser des conférences des régulateurs internationaux. Grande publicité était d'ailleurs faite dans cette tribune, comme dans des articles du Monde qui ont suivi, à la prochaine conférence des régulateurs qui se tiendra à l'UNESCO le 30 novembre prochain, à l'invitation du CSA. Ceux qui ont suivi toutes les tentatives précédentes, effectuées sans succès par Hervé Bourges depuis 1996 pour se voir confier la régulation des contenus sur Internet, noteront avec amusement le nouvel argumentaire utilisé. En effet, M. Bourges semble avoir abandonné (mais c'est encore tout récent) les vieilles lunes du type « Internet repaire de pédophiles et de nazis », pour s'ériger en défenseur des pays du Sud, et du rôle de l'UNESCO face à l'OMC. Intéressant, et assez habile. (Hervé Bourges. L'UNESCO et les pendules d'Internet. Le Monde, Horizons Débats. 30 juillet 1999. http://www.lemonde.fr). Outre ces tribunes et autres échos de la gourmandise du CSA dans la presse, on note que cet organisme mène une offensive tout à fait considérable sur la question de la régulation des contenus : la préparation du sommet des régulateurs du 30 novembre a déjà donné lieu, outre des réunions de secteur, à la production et la large diffusion d'un texte de positionnement intitulé « La régulation des services audiovisuels sur Internet : enjeux et problématiques », accompagné de l'inévitable forum pour commentaires sur le site du CSA (http://www.csa.fr/html/regul.htm). On pourrait croire que le CSA limite à présent ses ambitions aux services audiovisuels, mais ce n'est pas vraiment le cas, il suffit pour s'en rendre compte de lire l'intervention publique de Hervé Bourges lors du forum des régulateurs qui s'est tenu à Kuala Lumpur du 3 au 5 septembre 1999 (http://www.csa.fr/html/inter1u.htm). Rendons tout de même grâce au CSA de nous avoir invité à participer à une table-ronde dans le cadre de sa journée d'études du 14 octobre 1999, intitulée « Communication audiovisuelle et Internet ». Une occasion pour IRIS, seul représentant associatif non lié à des intérêts industriels invité, d'apporter la contradiction lors de la table-ronde sur le thème : « Le monde de l'Internet : espoir démocratique ou menace inégalitaire ? ».

Au-delà des prétentions des uns ou des autres, la question est de savoir pourquoi le Premier ministre affirme que « le réseau a besoin d'une forme de régulation adaptée ». La loi ne serait-elle pas suffisamment adaptée, dans un État de droit ? Lionel Jospin se réfère aux propositions du Conseil d'État, dans son rapport (Conseil d'État. Rapport sur Internet et les réseaux numériques. 8 septembre 1998 : http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/rapce98/accueil.htm). Mais la proposition d'organisme de « corégulation » était justifiée dans ce rapport justement par l'absence de clarification des responsabilités des intermédiaires. Nous avions déjà démontré, dans notre commentaire du rapport du Conseil d'État, qu'un tel organisme était non seulement inutile, mais surtout dangereux pour l'État de droit. Après l'adoption des amendements Bloche, et le parfait consensus qu'ils ont suscité - même moyennant des demandes de précision dans la rédaction -, non seulement cette démonstration est encore plus vraie, mais les déclarations d'IRIS à ce sujet en date de septembre 1998 sont encore plus d'actualité, c'est pourquoi nous les répétons ici : « Cette proposition d'organisme de corégulation, qui ne pourra que satisfaire des intérêts particuliers, financiers ou de carrière, au mépris du droit des citoyens, ne devrait pas être retenue par le gouvernement, et nous saurons nous mobiliser pour expliquer les dangers de cet organisme proposé, comme nous avons su nous mobiliser, en d'autres circonstances, pour faire échec aux tentatives qui ont précédé, depuis juin 1996. » (IRIS. Lettre électronique N.4. Numéro spécial consacré au rapport du Conseil d'État. 28 septembre 1998 : http://www.iris.sgdg.org/les-iris/li4.html#IV-4).

Les intérêts particuliers n'ont d'ailleurs pas tardé à reprendre du poil de la bête : aussitôt après le discours du Premier ministre à Hourtin, le GESTE (Groupement des éditeurs de services en ligne, http://www.geste.fr) se félicitait ainsi de cette annonce dans son communiqué de presse en date du 27 août 1999 : « GESTE se félicite de l'annonce de la création prochaine d'un organisme spécifique basé sur le principe de la co-régulation. Il devra associer majoritairement les professionnels et être financé principalement par des fonds publics. ». Le GESTE est à fond pour la « corégulation », mais beaucoup moins partisan du cofinancement... Il est vrai que « le GESTE regroupe une centaine de sociétés (TF1, Canal+, Hachette, Havas, Le Monde, Libération, NRJ, Europe 1, ...) », toutes en-dessous du seuil de pauvreté, c'est bien connu... C'est dire si le discours de Lionel Jospin est une heureuse nouvelle pour le GESTE, alors que le député Patrick Bloche, invité de l'assemblée générale du GESTE le 1er juillet 1999, sur le thème : « Bientôt une "loi Internet" en France ? », opposait un « Niet », un peu trop confiant sans doute, aux réclamations d'Antoine Beaussant, président du GESTE, revenant à la charge sur un tel organisme. Rappelons que Antoine Beaussant présidait déjà en 1996 la « Commission Beaussant », mise en place par François Fillon, alors ministre des Télécommunications, à l'origine de la « Charte de l'Internet » et de la proposition de « Conseil de l'Internet » (http://www.planete.net/code-internet/), tant décriés - à raison - par le rapport du Conseil d'État (http://www.internet.gouv.fr/francais/textesref/rapce98/accueil.htm), et soigneusement enterrés par François Fillon comme par son successeur.

L'AFA (Association des fournisseurs d'accès : http://www.afa-france.com) est également sur les rangs, peut-être même avec quelques longueurs d'avance : l'AFA rappelle dans son communiqué de presse du 30 août que « l'industrie Internet s'organise, dans la mesure des moyens conférés par la loi à des organisations privées, en créant à l'automne le premier réseau européen de points de contacts sur les contenus illégaux relatifs à la pornographie enfantine ». On suppose que l'AFA, comme ses collègues de l'EuroISPA (équivalent de l'AFA au niveau européen, actuellement présidé par l'AFA), se chargera de traiter elle-même les plaintes reçues. Quel sera le traitement réservé par l'AFA à ces plaintes ? « AFA Point de Contact n'est pas pour l'instant en mesure de recevoir de réclamations concernant de contenus présumés illégaux. » (cf. http://www.afapc.org/index_net.htm). Sans doute un traitement aussi éloigné de l'État de droit que ceux réservés par les « points de contacts ou hotlines » mis en place depuis quelques années au Royaume-Uni et au Pays-Bas, dont se réclame l'AFA (cf. http://www.iris.sgdg.org/documents/rapport-ce/section5.html, et http://www.childnet-int.org/hotlines/hotlines.html).

Une fois de plus, la seule question qui mérite d'être posée demeure : en vertu de quoi Internet justifierait que la justice et la police, ainsi que leurs services auxiliaires, ne soient plus assurés par l'État, mais par des entreprises privées, aux intérêts privés ? À ceux qui prétexteraient des difficultés de mener ces tâches à bien sur Internet, nous continuons de répondre que la solution réside dans l'adaptation de la procédure pénale (cf. http://www.iris.sgdg.org/les-iris/li4.html#IV-4 et http://www.iris.sgdg.org/documents/rapport-ce/section2.html pour des propositions précises à ce sujet).

Des aménagements nécessaires aux lois existantes, mais proposition d'une loi fourre-tout

Toujours à Hourtin, le Premier ministre a annoncé pour l'année 2000 un « projet de loi sur la société de l'information », qui serait porté par le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie. On pense tout de suite à une loi pour encadrer le développement du commerce électronique, en effet nécessaire pour la protection du consommateur et d'une façon plus générale du citoyen, qui n'est pas que consommateur. La situation devient vite préoccupante en effet, au niveau national comme au niveau international. Comment adapter les contrats et les transactions commerciales en ligne de sorte que le consommateur ne soit pas lésé ? Comment établir, au niveau international, des standards de protection du consommateur, de sorte que le droit du pays du consommateur s'applique, par exemple ? Comment fixer sans contestation possible les législations applicables et les juridictions compétentes, ainsi que les instances adéquates de résolution de conflit ? Voilà plusieurs questions ayant trait à la protection du consommateur qui demandent à être débattues, et fixées en coordination avec les autres pays, puisque les transactions commerciales peuvent se faire dans un pays différent. Mais il y a d'autres questions posées au citoyen par le développement du commerce électronique, et ces questions sont de l'ordre de la protection de la vie privée et des données personnelles. Va-t-on là aussi laisser faire le privé qui réclame, en France comme ailleurs, qu'on le laisse s'« autoréguler » ? Les sociétés commerciales prennent d'ailleurs les devants, par un lobbying tout à fait puissant auprès des gouvernements et des institutions et organisations internationales, organisant congrès et colloques à tour de bras, et publiant des rapports à la pelle. Mais ces sociétés ne se contentent pas de faire du lobbying, même si elles sont très écoutées. Elles veulent elles-mêmes « créer la confiance » dans le grand public, en affichant à grands frais par voie de presse leurs « chartes » : voir par exemple celle de la société Vivendi, nommée « charte Internet-confiance » (http://www.vivendi.com/fr/html/charte/index_FR.htm), ainsi que l'interview de son PDG, Jean-Marie Messier, publiée dans Libération du 11 septembre 1999 (http://www.liberation.com/multi/actu/semaine990906/art990911b.html). Rappelons que Vivendi, c'est à la fois les « tuyaux » (Cegetel) et ce qui y circule, qu'il s'agisse d'information (Havas, Canal+, ...), ou de tout autre fluide... Pour ne pas laisser faire les intérêts privés à leur guise, il est donc important d'encadrer les pratiques du commerce électronique en légiférant sur ces questions. On continue d'espérer que le gouvernement consultera, notamment des représentants de la société civile, avant de faire ses propositions. En tout état de cause, le débat vient une fois de plus du secteur associatif, avec la troisème conférence sur « la place du citoyen dans le commerce électronique », une conférence internationale à l'initiative d'ONGs et de syndicats, et co-organisée par Iris, qui se tiendra le 11 octobre à l'OCDE à Paris (http://www.iris.sgdg.org/actions/publicvoice99), au cours de laquelle on débattra de ces questions.

Le problème dans l'annonce du Premier ministre est qu'il ne s'agit pas seulement d'encadrer le développement du commerce électronique. Il s'agit d'une véritable « loi fourre-tout », où l'on traitera pêle-mêle des questions relatives au commerce électronique, mais aussi de liberté de communication, de cryptographie, de lutte contre la délinquance, de protection des droits d'auteur... On sait déjà que le gouvernement compte réguler spécifiquement les contenus sur Internet, et on sait qu'il entend le faire par la mise en place d'un organisme de « corégulation » (cf. ci-dessus pour ces pratiques antidémocratiques). Cela n'augure rien de bon pour le reste. Mais surtout, cette volonté de proposer une loi globale pour Internet est stupéfiante : elle est d'abord en contradiction avec les choix faits par d'autres pays, comme par l'Union européenne ; elle est ensuite en contradiction avec les choix déjà effectués par ce même gouvernement pour les questions liées à Internet (loi sur les télécommunications, loi sur l'audiovisuel, projet de loi sur la signature électronique, etc.) ; elle est enfin et surtout en contradiction avec tout notre droit, et démontre une singulière compréhension d'Internet : on se demande dans quel esprit - mais surtout dans quel but - a bien pu germer une telle décision de légiférer sur un moyen de communication en particulier, alors qu'en l'occurrence, les usages de ce moyen de communication sont extrêmement divers, et peuvent de ce fait toucher à tous les problèmes socio-économiques : travail, santé, éducation, culture, communication, vie démocratique, respect des libertés, justice, police, service public, mais aussi finances, économie, innovation et recherche, commerce, sans oublier la régulation de la concurrence dans les services de télécommunication. Est-ce que le gouvernement souhaiterait un régime d'exception pour Internet ? Tout porte à le croire, et à s'en inquiéter sérieusement.

BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN

Transposition tardive de la Directive sur la protection des données personnelles

Il était temps, en effet, de mettre au point cette transposition de la Directive européenne sur la protection des données personnelles, adoptée depuis 1995, et entrée en vigueur le 25 octobre 1998 (Directive 95/46/CE relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. 24 octobre 1995 : http://europa.eu.int/eur-lex/fr/lif/dat/1995/fr_395L0046.html). Après l'envoi d'un avis motivé par la Commission fin juillet, la France ne dispose plus que de deux mois avant que la Cour de justice européenne puisse être saisie à ce sujet par la Commission (cf. Communiqué de presse de la CE. IP/99/592. 29 juillet 1999 : http://europa.eu.int/rapid/start/cgi/guesten.ksh?p_action.gettxt=gt&doc=IP/99/592|0|RAPID&lg=FR). Ce calendrier suscite toutes les craintes quant au processus d'adoption de la nouvelle loi « Informatique et libertés » (cf. l'état de la transposition de la Directive 95/46/CE, d'après la CNIL : http://www.cnil.fr/actu/directiv.htm).

Transposition précipitée de la future Directive sur la signature électronique

La précipitation est beaucoup plus patente lorsqu'il s'agit d'offrir des garanties pour la signature de contrats : le texte relatif à la signature électronique a été adopté en Conseil des ministres début septembre (http://www.legifrance.gouv.fr/citoyen/legifrance_actualite/Fr/preparation/preuventi.htm, alors que la position commune du Conseil au sujet de la Directive sur la signature électronique vient d'être publiée (JOCE. C243. 27 août 1999 : http://europa.eu.int/eur-lex/fr/oj/1999/c_24319990827fr.html). Comment adopter des dispositions faisant appel à la cryptographie et à l'instauration de tiers certificateurs aux obligations très précises (cf. l'article de Valérie Sédallian : Commerce électronique : les réformes européennes. 12 juin 1999 : http://www.juriscom.net/espace2/comelec2.htm), alors que ces questions ne pourront être complètement traitées que dans le contexte de la nouvelle loi sur la cryptographie, dont la présentation n'aura lieu que l'année prochaine ?

En effet, la question clé reste celle des organismes certificateurs pour la signature électronique. La Directive européenne précise par exemple que la signature électronique doit « être créée par des moyens que le signataire puisse garder sous son contrôle exclusif », et que les tiers certificateurs ne doivent pas conserver la clé privée de signature. Au vu de ces exigences, et des détails de la Directive, il devient évident que la chronologie proposée par le gouvernement n'est pas adéquate : c'est bien par la libéralisation totale de la cryptographie qu'il faut commencer, de façon à transposer facilement et correctement la Directive sur la signature électronique dans la foulée. Enfin, il ne faut pas négliger le problème lié à la disponibilité de logiciels corrects de certification, permettant le respect des dispositions de la Directive européenne : on retrouve là encore les problèmes posés la politique américaine d'interdiction d'exportation de produits de cryptographie corrects, même si un assouplissement a pu être récemment observé (par exemple, le RC2/40 a pu être « craqué », cf. http://www.counterpane.com/smime.html) et par l'accord de Wassenaar (cf. http://www.iris.sgdg.org/axes/crypto/campagne). Christian Pierret a déclaré à Hourtin que : « avec SAGEM notamment, La Poste a créé la première autorité de certification entièrement française : elle permettra aux internautes et intranautes de signer et chiffrer leurs messages en toute sécurité. Entièrement interopérable avec les divers systèmes de navigation sur le NET, la clé de certification Certinomis sera par exemple intégrée dans la prochaine version du logiciel de navigation Microsoft ». On trouvera plus de détails sur le site de Certinomis : http://www.certificat.com/. Toutefois, ces détails resteront limités pour ceux qui ne souhaitent pas aller jusqu'au bout du processus de certification : on trouve relativement peu d'information sur le site, et l'on ne sait pas, en particulier, quelles garanties sont fournies ni quels logiciels sont utilisés : est-ce ainsi que l'on croit pouvoir « créer la confiance » du consommateur ?

Numérique hertzien : à qui iront les canaux supplémentaires ?

La loi sur l'audiovisuel prendra en compte, dans les prochaines étapes d'examen, le numérique hertzien. La question essentielle reste de savoir à qui seront attribués les nouveaux canaux ainsi accessibles, groupes privés déjà sur les rangs, ou initiatives locales, en particulier associatives, qui se sont déjà vu refuser par le CSA l'autorisation d'émettre, comme OSF (http://bregantin.org/connexe/osf/) ? Cette interdiction n'empêche pas OSF de continuer à émettre, et la chaîne annonce d'ailleurs la reprise de ses émissions pour le 2 octobre 1999. Notons que cette annonce sur le numérique hertzien a eu lieu alors même que la Coordination Permanente des Médias Libres a été contrainte de déprogrammer la diffusion des émissions prévues pendant l'université d'Hourtin (http://www.medialibre.org/). Une nouvelle « prise de la Bastille audiovisuelle » est d'ailleurs prévue par la Coordination pour le 2 octobre, avec toujours la même revendication, à savoir la reconnaissance d'un « tiers-secteur audiovisuel ».

Droit d'auteur et exception culturelle : tout reste à faire

La protection du droit d'auteur et de la propriété intellectuelle est un problème crucial qui se pose sur Internet. Il est aussi très délicat : on ne peut pas considérer le droit d'auteur sur Internet, où les contenus sont librement accessibles sans être forcément du domaine public, comme on l'a traité jusqu'ici, au niveau national ou international. De nouvelles questions se posent, notamment sur la durée d'exercice du droit patrimonial, pour des contenus régulièrement mis à jour, et qui ne peuvent donc pas être considérés comme figés à un moment donné. C'est peut-être l'occasion de remettre à plat ces questions, pour les examiner à la lumière de cette nouvelle donne. On a également vu des conflits surgir entre auteurs et éditeurs, par exemple dans le cas de la presse écrite lorsque les contenus sont ensuite mis en ligne sans forcément accord des journalistes, et surtout sans renégociation de rétribution. Tous ces aspects doivent faire l'objet d'une réflexion approfondie, avec toutes les parties concernées, et notamment les syndicats et sociétés d'auteurs. La question de la propriété intellectuelle sur Internet ne se résume pas au problème du MP3 ! Le Premier ministre s'est engagé à diffuser largement au mois d'octobre un document d'orientation pour consultation. On espère que ce document traitera la question dans son ensemble.

Mais on ne peut que se féliciter d'ores et déjà de l'attachement manifesté par Lionel Jospin au régime du droit d'auteur, et de sa réaffirmation du fait que les oeuvres de l'esprit ne sont pas des marchandises. La ministre de la Culture s'est exprimée dans le même sens, pour défendre à nouveau l'« exception culturelle », et pour son extension à d'autres contenus que les contenus audiovisuels classiques. Plus important encore, Catherine Trautmann a exprimé son refus d'un « AMI-bis », et on ne peut qu'y être attentif, alors que les prochaines négociations du cycle du millénaire s'ouvriront à l'OMC au mois de novembre prochain. C'est cette position qui doit être défendue par la France au niveau international. Mais, si la ministre de la Culture est rassurante, on peut s'inquiéter des propos tenus à Hourtin également par son collègue secrétaire d'État au Commerce Extérieur, qui déclarait à propos des prochaines négociations de l'OMC : « les discussions en cours montrent là aussi que cela ne va pas de soi, notamment pour déterminer la frontière marchandise/service lorsqu'on considère des produits téléchargés sur Internet (livre ou CD). La position de la France et de l'Union européenne est qu'il s'agit là de prestations de services ». S'il s'agit de prestations de services, sachant que l'Union européenne est très chatouilleuse sur la libre circulation des services, quelle « exception culturelle » pourra être défendue ? Quelle sera finalement la position de la France à l'OMC sur la question de la protection des oeuvres de l'esprit ? Quelle sera sa position sur la brevetabilité de ces oeuvres, alors que la convention de Munich, qui interdit la brevetabilité des logiciels, allait être modifiée sur ce point en juin dernier (cf. http://www.iris.sgdg.org/info-debat/comm-munich0699.html) ?


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(dernière mise à jour le 18/12/2004) - webmestre@iris.sgdg.org