Rapport-CE


II. Procédure pénale.


La création d'une force de police spécialisée pour la poursuite des infractions sur Internet, si elle est entendue comme une force de police spécialisée dans une certaine catégorie d'infractions (au sens où il existe une brigade financière, par exemple) n'est ni nécessaire, ni souhaitable : elle n'aurait d'ailleurs aucun sens, puisqu'il n'y a pas d'infractions spécifiques à Internet. En revanche, la formation technique spécialisée d'officiers de police est sans aucun doute utile, cela existe d'ailleurs déjà, au même titre qu'il existe des services de police technique. Elle doit être améliorée, et plus répandue, afin d'éviter des modes de perquisition et de saisie de matériel confinant au ridicule et au nuisible, comme cela s'est déjà vu en France. Une autre utilité de cette nécessaire formation concerne la collecte d'éléments de preuve, déjà très difficile à établir sur Internet, entre autres, mais non uniquement, à cause de la législation française sur la cryptographie qui empêche les transactions complètement sécurisées et authentifiées. Enfin, l'anonymat est souvent présenté comme un problème majeur, alors que dans la grande majorité des cas, il n'y a pas eu anonymisation totale, et il suffit d'une compréhension minimale de la lecture des en-têtes de messages ou articles pour en identifier l'auteur, ou, indirectement, pour déterminer le moyen efficace d'obtenir son identité par son fournisseur d'accès (notons que ces en-têtes sont accessibles à tous, dans le cas de messages publics, et au moins au(x) destinataire(s) dans le cas de messages privés).

Bien que le but de ce document ne soit pas de fournir des pistes pour développer les moyens de preuve sur Internet (bien trop réduits à l'heure actuelle), il est certain que la sécurité et l'authentification des transactions permettraient de circonscrire le problème, de même que l'obligation faite aux fournisseurs d'accès, de service et d'hébergement -  au moins les sociétés commerciales - d'assurer des règles minimales de sécurité sur leurs ordinateurs : pour l'instant, bien peu sont en mesure de réellement garantir la sécurité de l'accès à leurs ordinateurs, ce qui induit qu'une tierce partie pourrait très bien s'introduire pour modifier à des fins malveillantes des contenus qui seraient alors attribués au client de ce fournisseur, « locataire » de l'espace ainsi piraté. Ces règles de sécurité, dont certaines sont assez simples à mettre en oeuvre, devraient faire partie de l'obligation de service, et leur respect ressort finalement de la déontologie du fournisseur : c'est également un critère de choix d'un fournisseur d'accès, et le ministère de l'Intérieur, à titre d'exemple, a fait de ce critère une condition imposée à son fournisseur d'accès (information recueillie lors d'un entretien avec des représentants du service de l'information et des relations publiques (SIRP) du ministère).

La question de l'adaptation des règles prévues en matière d'écoutes téléphoniques se pose effectivement, mais plutôt dans le cas où c'est l'employeur, ou encore le fournisseur d'accès, qui abuse de ses possibilités techniques, pour prendre indûment connaissance de fichiers privés. Pour ce qui concerne les écoutes administratives ou judiciaires, les règles prévues en matière d'écoutes téléphoniques nous semblent suffisantes, encore faut-il que ces règles soient correctement appliquées. Là encore, la solution réside dans une libéralisation totale du cryptage des données, afin d'éviter les abus ou malveillances.

C'est évidemment du côté de la procédure et de l'organisation judiciaire que les améliorations les plus importantes peuvent être apportées.

Ainsi qu'il a été déjà mentionné, il n'y a pas de délit spécifique à Internet, et le droit commun s'applique aux infractions commises à travers le réseau, comme ailleurs. La procédure judiciaire d'urgence existe déjà (référé), mais il faudrait l'adapter du point de vue du mode de saisine. En effet, l'immédiateté de la transmission d'informations sur le réseau, ainsi que son accès à tous pour la communication publique, implique que le mode de saisine de l'autorité judiciaire soit facilité, comme est facilitée la possibilité de commission d'infraction. S'il peut être facile de nuire, par exemple par la simple émission d'un article diffamatoire dans un forum de discussion, il serait logique, légitime, et équitable, qu'il soit également facile pour la personne lésée de faire valoir son bon droit, et d'obtenir réparation.

La réforme du fonctionnement de la justice fait l'objet de plusieurs débats, qui dépassent le simple cadre d'Internet. Il semble qu'il existe un consensus sur la nécessité d'une justice de proximité, une justice qui viendrait aux citoyens, pour ainsi dire, une justice plus accessible à tous, une justice plus moderne. On a pu voir des propositions de revalorisation du rôle du juge de paix, on a même vu une expérience de « juge de paix itinérant ».

Dans le cas d'Internet plus particulièrement, nous pourrions avoir cette proximité dans les faits : il suffirait que le juge soit sur Internet, puisse être saisi avec une rapidité en accord avec l'immédiateté du réseau, pour la créer. Les avocats pourraient être présents également sur le réseau. Il ne s'agit pas de retirer au processus judiciaire l'une de ses caractéristiques essentielles, la sérénité, mais d'aller plus loin dans la procédure d'urgence dont les règles sont déjà établies (référé), en modernisant le mode de saisine.

Internet serait à ce titre une excellente zone d'expérimentation de cette justice de proximité, pour les raisons, non limitatives, suivantes : la variété des possibilités d'infraction (il n'y a pas d'infractions spécifiques); la taille encore réduite de la population, population en revanche suffisamment diverse; la spécificité d'Internet : communication de chacun vers tous; la nouveauté d'Internet : autant il est difficile de conduire des expérimentations qui vont déranger toutes les lourdeurs installées (et donc être possiblement mal acceptées depuis le départ), autant il est intéressant de profiter de cette « nouveauté », de cet « espace vierge », pour y pratiquer des expérimentations qui peuvent se révéler intéressantes.

Un embryon d'expérimentation pourrait être réalisé par la mise en oeuvre d'un mécanisme tel que proposé et détaillé en annexe III de ce document (« proposition pour un mécanisme d'autorégulation sur Internet », notamment pour sa partie réception, examen et aiguillage des requêtes), ainsi que par l'extension du programme de médiation pénale, comme proposé en annexe IV de ce document (« l'autorégulation : médiation ou arbitrage ? »). Ces expérimentations permettraient de prendre la mesure de l'adéquation de telles procédures, et, si elles s'avéraient concluantes, pourraient être présentées aux parlementaires afin qu'ils puissent les discuter et, éventuellement, les utiliser comme fondements de modifications à la procédure pénale. S'il s'avérait que ces expérimentations n'étaient pas concluantes, elles n'auraient en tout état de cause pas pu nuire, étant donné que leur description (cf. annexes) n'implique à aucun moment qu'un jugement soit rendu dans des conditions différentes des conditions actuellement en vigueur.

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octobre 1997 - webmestre@iris.sgdg.org