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Date: Wed, 10 May 2000 11:48:30 +0200
Subject: Le "gratuit", fossoyeur du non marchand

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[Voir aussi la réponse du
CRU suite à cette lettre, ainsi que nos commentaires]
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Bonjour,

Francopholistes aujourd'hui, Voilà-e-Groups hier : deux affaires de
listes de discussions qui migrent, abonnés compris, dans des
conditions scandaleuses. L'une se déroule dans le secteur non
marchand, l'autre dans le secteur marchand. Le point commun ? C'est
gratuit...  Vous trouverez ci-après les analyses d'Iris sur ces
questions.

Avec toute notre sympathie pour ceux qui ont administré depuis
longtemps le service Francopholistes du CRU, et que l'on n'a pas dû
beaucoup consulter. Ils sont en copie de ce message.

Meryem Marzouki (Iris)

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L'affaire Francopholistes : les listes gratuites, secteur non marchand
(Texte rédigé par Meryem Marzouki pour Iris)
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Francopholistes, dernière victime en date du libéralisme
serial-killer :

Francopholistes, un service de référencement, et d'hébergement sous
conditions, de listes de discussion francophones vient à son tour
d'être abandonné par le service public pour être transféré à une
société privée.

Mis en place en 1997 et géré par le CRU (Comité réseau des
Universités), ce service est reconnu comme l'annuaire principal de
listes de discussions francophones. La DGLF (Délégation générale à la
langue française) participait à son subventionnement par la mise à
disposition de personnels (un poste et demi).

Il faut croire que la DGLF n'est plus en mesure de subventionner le
service d'annuaire : curieuse conception de la promotion de la
Francophonie.  
Francopholistes a été sacrifié sur l'autel de la rentabilité par les
ministères de tutelle : curieuse conception du service public.  

La mise à mort s'est faite par étapes : on se souvient qu'il y a
plusieurs mois le CRU avait renoncé à héberger les listes n'ayant pas
de relation directe avec les activités universitaires, pour se
contenter de les référencer. On se souvient également de l'affaire
Mygale, service d'hébergement gratuit subventionné par l'université
Paris VIII, mis à la porte du service public pour les mêmes raisons,
mais dont la valeur marchande potentielle n'a pas échappé à la société
commerciale qui l'a repris.

Le « gratuit », fossoyeur du non marchand

On comprend le développement du « gratuit » comme modèle économique
quand on connait la vraie valeur marchande de la « net-économie » :
plus que les contenus, encore plus sans doute que les profils
marketing, ce sont les utilisateurs eux-mêmes qu'on s'échange ou se
revend à prix d'or. Ces utilisateurs sont autant d'abonnés fidélisés,
c'est-à-dire susceptibles de rester prisonniers du portail de commerce
électronique derrière lequel on les enfermera. La valeur moyenne d'un
abonné fidélisé est estimée entre 50 000 FF et 80 000 FF l'unité dans
les fusions/acquisitions de ce secteur en Europe.

Dans ces échanges marchands, le développement du « gratuit »
(hébergement de sites Web, de listes de discussion, abonnement à des
fournisseurs d'accès) a joué un rôle primordial.  L'offre, soutenue
par la perspective d'une rentabilité à moyen ou long terme d'une part,
et la volonté de bénéficier gratuitement de ces services par des
individus ou des associations d'autre part, ont profondément dévoyé le
concept de « non marchand », au point que nombreux sont ceux qui
confondent les deux notions.  Persister à ignorer le coût de ces
services, en termes de matériels et en termes de personnels pour les
assurer correctement, est une attitude consumériste, à courte vue, qui
finit non seulement par être perdante, mais qui mène surtout à la mort
du service public et de tous les services non marchands.

Pour un service public ni forcément gratuit, ni forcément opéré par
l'État

Iris a proposé à plusieurs reprises, notamment dans sa contribution au
débat sur la future loi « société de l'information », la mise en place
de services publics pour l'attribution des noms de domaines
(génériques et en .fr), l'accès à Internet, l'hébergement de services
Internet, ainsi que l'accès au réseau hors questions relatives à
l'infrastructure, pour l'acquisition d'une culture de base en
Informatique et communication. Iris demande de plus l'extension du
service universel des communications à l'accès pour tous à une
connexion permanente.

Ce service public a un coût, et n'a aucune raison d'être gratuit, de
même que d'autres services publics. Il n'a pas non plus forcément
vocation à être opéré par l'État : il existe, depuis longtemps et dans
de nombreux secteurs, des délégations de service public.

À l'heure où le Premier ministre crée un secrétariat d'État à
l'Économie solidaire, qu'est-ce qui s'oppose à la mise en place d'un
tel service public pour Internet, sinon le renoncement à tout ce qui
pourrait empêcher le développement d'une société de marché en France?

Face à l'incurie manifeste et coupable de l'État et de ses services à
plusieurs niveaux, face à ceux qui se prosternent devant l'économie et
son plus jeune avatar, les citoyens n'ont qu'une seule solution pour
ne plus être des marchandises : prendre leur situation en main. 


Références :
- CRU : http://www.cru.fr (francopholistes : http://www.cru.fr/listes)
- Francopholistes, version commerciale :
  http://www.francopholistes.com
- Texte d'appel pour un service public de l'Internet (Autonomie) :
  http://www.autonomie.org/francofolie/
- Contribution d'Iris au débat loi société de l'information
  (http://www.iris.sgdg.org/documents/rapport-lsi)

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L'affaire Voilà-eGroups : les listes gratuites, secteur marchand
(Texte rédigé par Vincent François et Jean Rembert pour Iris)
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La situation initiale :

Voilà est un service de France Télécom qui offre aux internautes un
service gratuit de listes de diffusion (mailing list). Voilà
sous-traite l'hébergement à eGroups, une société américaine. Le 24
juin 1999, un accord est annoncé entre ces deux sociétés.  Pour des
raisons techniques, les données concernant les utilisateurs, à savoir
l'identité des 250.000 membres, des 10.000 administrateurs de liste,
ainsi que l'archivage des messages, sont toutes stockées chez
eGroups.

Les faits :

En février 2000, eGroups fusionne avec OneList, une autre société
américaine qui a des vues sur le marché européen. eGroups souhaite
alors se désengager de son partenariat avec Voilà pour voler de ses
propres ailes sur ce marché. Ne parvenant à se mettre d'accord, Voilà
et eGroups se séparent et le 1er avril, les deux sites sont
interrompus, officiellement en raison de problèmes techniques. Le 3,
un site eGroups francophone apparaît de nouveau, devenu concurrent de
Voilà. 

Dans les faits, Voilà se retrouve sans ses données, et eGroups offre
désormais un service concurrent avec les données qu'il conservait.
Voilà, voulant à tout prix retrouver ses membres et administrateurs de
liste, propose à ceux-ci de se réenregistrer « pour des raisons de
sécurité et de meilleure intégration » peut-on lire...  Sans doute
dépassés par les événements et la nécessité de réagir très vite, les
techniciens de Voilà ont de plus commis une erreur qui a conduit à
laisser accessible pendant plusieurs heures les données complètes avec
les mots de passe des « nouveaux » membres.  

Les questions de fond : 

Au delà du côté rapt ou prise d'otage virtuel, on découvre différentes
questions de fond importantes: 

- La valeur du membre gratuit 

On mesure une nouvelle fois ce que « vaut » un abonné inscrit à un
service gratuit. La gratuité des services s'apparente désormais
complètement à celle d'un produit d'appel et n'a plus rien à voir avec
la gratuité communautaire. On évalue à plusieurs dizaines de milliers
de francs le prix d'un inscrit dans un service comme celui-ci. La
valeur se constitue sur le dos des internautes, sans que ceux-ci n'en
soient informés et sert à la valorisation dans le cas d'introduction
en bourse par exemple, ce qui est d'ailleurs déjà annoncé par la
société mère de Voilà. 

- Le respect de l'utilisateur 

Parallèlement, cette situation a crée des remous à l'intérieur de la
plupart des listes, laissant les membres non informés du sort qui leur
était réservé et du pourquoi de la situation. Certaines listes sont
actuellement incapables de récupérer leurs archives chez eGroups. Un
sentiment de panique s'est révélé, certaines listes s'emballant de
messages de membres souhaitant se désabonner et ne le pouvant plus. 

- Les clauses de confidentialité 

Voilà proposait des clauses de confidentialité concernant les données
demandées aux membre. Elle a été incapable de les respecter. « Nous ne
vendons ou échangeons EN AUCUN CAS les adresses e-mail des
utilisateurs à aucune tierce personne ou organisation sans la
permission expresse de l'utilisateur ». Tel n'était donc pas le cas,
par construction de partenariat...  Tout ceci témoigne abondamment à
la fois de l'agitation brouillonne qui tient lieu de « réactivité »
pour faire face à la concurrence, et du mépris pour les « membres »,
simples porteurs de plus value.

Références

- Voilà : http://club.voila.fr 
- eGroups : http://www.egroups.com et http://www.egroups.fr
- OneListe : http://www.onelist.com
- Les chroniques de Cybérie : http://www.cyberie.qc.ca/chronik (du
  11-04-2000)
- ZDNet: http://www.zdnet.fr/actu/busi/a0013803.html (« Voila s'endort
  : 1 500 mots de passe en clair »)
- ZDNet: http://www.zdnet.fr/actu/tech/a0013840.html (« Voila pleure
  sur son fichier de 250 000 noms confisqué ») 
- Solest: http://www.solest.com/edito/771.htm (« Hold-up sur
  club.voilà.fr »)
- http://www.solest.com/edito/voila/oldvoilapriv.html (« L'engagement
  de Voilà sur la confidentialité des données de ses membres (mis en
  ligne par Solest) »)
- http://www.psytec.net/betail.htm (« Psychologie & Internet: Les
  bétaillères du gratuit: un cas récent »)

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Post-Scriptum :
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Au Québec aussi :

Nous apprenons également, par la dernière livraison des « Chroniques
de Cybérie », que le gouvernement du Québec abandonne le projet
d'adresse électronique permanente attribuée gratuitement
(courrier.qc.ca). Motif invoqué, indiqué par la revue en ligne : « le
gouvernement et ses partenaires ont convenu que, pour des raisons
économiques, courrier.qc.ca ne pourra déboucher sur un service
permanent ». Le communiqué du ministère québecois à l'origine du
projet (et de son abandon) précise que de nombreux services gratuits
et en Français se sont développés depuis le lancement du projet. Bien
entendu, il s'agit de services commerciaux, avec publicité imposée.
Des services souffrant des inconvénients analysés dans les textes
ci-dessous.

Le Monde, parmi d'autres, contribue à la douce effervescence du «
gratuit »

Le supplément « Interactif » du Monde se veut pédagogue. En
partenariat avec Canal+, le supplément hebdomadaire comprend des
articles destinés à mieux comprendre Internet et les « nouvelles
technologies ». L'édition datée du mercredi 10 mai comprend un article
traitant des « listes de diffusion » (comprendre : listes de
discussion), « à ne pas confondre avec les newsletters » (comprendre :
listes de diffusion, réduites qui plus est à l'un de leurs usages). 

Si nous prenons la peine cette fois-ci de relever la bourde, c'est
surtout que le signataire de l'article en profite pour faire de la
publicité (gratuite ?) aux services « gratuits » de listes dont nous
traitons dans cette lettre, à savoir eGroups et Francopholistes
(version .com, évidemment ; sans aucune référence au cadavre encore
chaud, évidemment). Saluons la réactivité immédiate de la presse...
l'actualité n'attend pas, c'est bien connu. 

Références :

- Chroniques de Cybérie : http://www.cyberie.qc.ca/chronik (du
  09-05-2000)
- Le Monde Interactif (supplément à l'édition du mercredi) :
  http://www.lemonde.fr/aietek (du 10-05-2000)
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Meryem Marzouki - Pages personnelles : http://asim.lip6.fr/~marzouki
IRIS - 294 rue de Charenton, 75012 Paris, France 
Tel/Fax: +33(0)144749239 - http://www.iris.sgdg.org





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