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Sénat, deuxième lecture : les intermédiaires deviennent soumis au secret, mais demeurent juges des contenus.

Communiqué de presse d'IRIS - 31 mai 2000

Le Sénat a adopté en deuxième lecture, lundi 29 mai 2000, une version légèrement modifiée des propositions que sa commission des Affaires culturelles [1] avait apportées à l'article premier A de la loi sur la liberté de communication (responsabilité des intermédiaires techniques sur Internet) [2].

Les modifications adoptées

Le seule modification d'importance est l'adoption du sous-amendement n°164 proposé par Alain Joyandet au nom du groupe RPR. Cette modification de la rédaction de l'article 43-6-4 impose le secret professionnel au fournisseur d'hébergement, de sorte qu'il ne fournisse les données permettant d'associer le pseudonyme d'une personne physique à son identité réelle que sur requête de l'autorité judiciaire.

IRIS ne peut que se féliciter de l'introduction de cette notion de secret des données pour les intermédiaires techniques, bien qu'introduite dans un article 43-6-4 contesté par l'association. Cette mesure est en effet réclamée depuis longtemps par IRIS pour toutes les données en possession des intermédiaires techniques d'accès ou d'hébergement mentionnées au 43-6-3 (données d'identification, données de connexion et de consultation) [3]. Notons que le Sénat a voté la soumission des intermédiaires au secret contre l'avis du gouvernement.

De même, IRIS se félicite de l'adoption des sous-amendements suivants à l'amendement n°6, (nouvelle rédaction de l'article premier A proposée par la commission des Affaires culturelles) :

- N° 171, proposé par Pierre Hérisson (UC), modifiant l'article 43-6-1 afin que le fournisseur d'accès se contente d'informer ses abonnés des moyens de filtrage existants, au lieu d'être contraint de les fournir

- N° 178, proposé par Pierre Hérisson (UC), supprimant toute référence dans la loi aux messages publicitaires sur les sites. Cette question est sagement renvoyée à l'examen de la future loi sur la société de l'information, comme IRIS l'a préconisé [1].

Trois autres sous-amendements à l'amendement n°6 ont été adoptés :

- N° 218, proposé par Michel Pelchat (RI), étendant les sanctions pénales aux intermédiaires techniques pour défaut de conservation des données mentionnées à l'article 43-6-3 (modification de l'article 79-7 introduit par la commission)

- N° 291 rectifié, proposé par Danièle Pourtaud et Michel Dreyfus-Schmidt au nom du groupe PS, restreignant, sans pour autant revenir à la notion de « mise en demeure », l'information du fournisseur à une notification par un « tiers identifié » ou à son propre constat (modification de l'article 43-6-2) [Rectificatif]

- N° 294, proposé par Danièle Pourtaud et Michel Dreyfus-Schmidt au nom du groupe PS, divisant par deux les peines encourues pour fourniture de faux éléments d'identification (peines ramenées à 3 mois de prison et 25 000 FF d'amende par modification de l'article 79-8 introduit par la commission).

La réduction des sanctions - toujours souhaitable - mise à part, ces derniers amendements n'apportent finalement pas grand-chose à un texte qu'ils contribuent à conforter.

De belles occasions manquées

Le Sénat n'a adopté aucun des amendements proposés par les membres du groupe CRC, et défendus par Jack Ralite et Ivan Renar (sous-amendements n° 147, 148 et 149). IRIS, qui retrouve pleinement ses revendications dans ces sous-amendements rétablissant les dispositions adoptées en première lecture par l'Assemblée nationale, regrette profondément que ces propositions, ni même leur argumentaire, n'aient pas été suivies.

Le Sénat, tout comme le gouvernement, n'a pas souhaité séparer la correspondance privée de la communication publique, ni soumettre uniquement à l'injonction judiciaire une éventuelle action du prestataire technique sur les contenus mis en ligne par des tiers, ni obliger l'identification des fournisseurs de contenus vis-à-vis de la seule autorité judicaire et non du public.

Ces propositions du groupe CRC ont été argumentées par le souci de ne pas laisser les acteurs marchands d'Internet effectuer la régulation du réseau, et de ne pas céder à une disproportion sécuritaire au mépris des libertés individuelles et publiques. Ni le rapporteur du Sénat, ni la ministre de la Culture et de la Communication n'y ont été favorables : que faut-il en déduire ?

Rendez-vous lors de l'examen du futur projet de loi sur la société de l'information

Il se dégage toutefois de l'ensemble de la discussion en deuxième lecture au Sénat un sentiment de meilleure compréhension des enjeux d'Internet par les sénateurs, par rapport à leurs premières interventions sur ces questions. On ne peut que s'en féliciter, en observant toutefois que cette compréhension gagnerait à être encore améliorée avant que des décisions importantes soient prises. IRIS en retient que le travail de sensibilisation auprès des parlementaires et du gouvernement est utile, et doit se poursuivre.

Le deuxième élément important qui ressort de la discussion est contenu dans l'intervention de la ministre de la Culture et de la Communication, qui, reprenant le dossier de la loi sur la liberté de communication, a présenté son analyse d'ensemble de la question relative aux droits et responsabilités sur Internet. Cette analyse ne manque pas en effet de confirmer [1] que plusieurs des dispositions adoptées, dans l'état actuel de la loi, contredisent la directive européenne sur le commerce électronique votée le 4 mai 2000 [4]. Par ailleurs, si la ministre semble avoir une conception précise et restrictive des « diligences appropriées », encore reste-t-il nécessaire de les énumérer de façon limitative dans la loi - et non dans des décrets administratifs -, de même que les moyens de leur mise en oeuvre [5] : le « ping-pong » jurisprudentiel actuel [6] doit cesser. Enfin, les déclarations de Catherine Tasca reconnaissent également que, si le traitement de la responsabilité des intermédiaires techniques était devenu urgent en France, ce problème ne pourra être adéquatement et complètement résolu qu'à l'occasion de la discussion de la future loi sur la société de l'information.

Au-delà du vote en troisième lecture à l'Assemblée nationale en juin, la véritable prochaine échéance n'interviendra donc pas avant l'automne 2000.

[Rectificatif : l'amendement n°291 rectifié était indiqué comme adopté par le compte-rendu analytique des débats publié le 30 mai 2000, puis comme rejeté par le compte-rendu intégral des débats paru au J.O. le 2 juin 2000 et seul faisant foi. (Retour)]

Références :

[1] Voir le commentaire d'Iris sur les propositions de la commission des Affaires culturelles du Sénat. Lettre d'Iris. 23 mai 2000.
http://www.iris.sgdg.org/les-iris/lbi/lbi-230500.html

[2] Voir le dossier complet d'Iris sur la loi liberté de communication.
http://www.iris.sgdg.org/actions/loi-comm

[3] « 85 recommandations pour un Internet démocratique en l'an 2000 » (recommandation n°5). Rapport Iris. Novembre 1999.
http://www.iris.sgdg.org/documents/rapport-lsi/rapport-lsi.html

[4] Directive européenne sur le commerce électronique, sélection des passages relatifs à la responsabilité des intermédiaires techniques.
http://www.iris.sgdg.org/actions/loi-comm/iris-dir-ecomm.html

[5] « Pour une alternative démocratique à la corégulation d'Internet : proposition de création d'une mission interministérielle pour la citoyenneté et l'accès au droit sur Internet ». Rapport Iris. Avril 2000.
http://www.iris.sgdg.org/documents/rapport-coreg/rapport-coreg.html

[6] « Arrêtons le ping-pong jurisprudentiel et législatif ! ». Lettre d'Iris. 26 mai 2000.
http://www.iris.sgdg.org/actions/loi-comm/ping-pong.html

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