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Droit de réponse en ligne : le décret parachève le gâchis de la loi


Communiqué de presse d'IRIS - 13 novembre 2007


Le décret d'application de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LEN ou LCEN) pour l'exercice du droit de réponse en ligne (article 6-IV) est finalement paru au J.O. du 26 octobre 2007. Son texte ne diffère en rien de la version de travail qui avait circulé dès mars 2007. L'association IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire) réitère et précise ses critiques formulées depuis 2004, au cours de la discussion du projet de loi et même dès le début des travaux pré-législatifs en novembre 2002.

D'une part, le législateur n'avait pas su saisir l'intérêt du droit de réponse en ligne pour apporter une réponse intelligente et proportionnée à la question de la prescription des infractions de presse en ligne, comme le recommandait IRIS dans un communiqué du 20 avril 2004. Choisissant au contraire d'établir un régime de prescription différent selon qu'un texte était disponible exclusivement ou non en ligne, le législateur s'était vu opposer, comme il était prévisible, la censure du Conseil constitutionnel pour cette disposition.

D'autre part, le droit de réponse en ligne, instauré par la LEN, fixait déjà des conditions d'exercice bien trop étendues, puisque le législateur avait adopté les modalités de la presse écrite (droit de réponse exercé dès que la personne est nommée ou désignée). IRIS avait proposé dans une analyse du projet de loi publiée en mars 2004 une modalité à mi-chemin entre la presse écrite et l'audiovisuel (pour lequel le droit de réponse est restreint aux cas d'imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation d'une personne). L'association avait en effet proposé que le droit de réponse puisse être exercé lorsque la personne est nommée ou désignée avec des imputations inexactes ou susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa réputation.

Le décret du 24 octobre 2007 augmente les problèmes posés par la rédaction de l'article 6-IV de la LEN.

Déséquilibre et disproportion

L'article 2 du décret soumet l'exercice du droit de réponse aux mêmes modalités, que le message concerné soit du texte, de l'image, du son ou de la vidéo. Ainsi, au détour d'une phrase dans un décret, le gouvernement met fin à la distinction qui régnait jusqu'ici pour le droit de réponse entre le cas de l'écrit et le cas de l'audiovisuel. Le mode de publication en ligne n'implique pourtant pas ipso facto d'abolir toute différence entre l'écrit et l'audiovisuel. Par ailleurs, pourquoi la réponse est-elle alors limitée à la forme textuelle dans tous les cas ?

Si le législateur avait suivi les propositions d'IRIS en matière de droit de réponse, la LEN et son décret d'application auraient été en phase avec une Recommandation du Conseil de l'Europe de décembre 2004 (droit de réponse prévoyant pour toute personne la possibilité de réagir à toute information dans les médias qui présente des faits inexacts à son propos et affecte ses droits personnels).

De même, la loi et le décret auraient parfaitement répondu à la Recommandation du Parlement européen et du Conseil de décembre 2006 (droit de réponse accordé à toute personne dont les intérêts légitimes, en ce qui concerne notamment son honneur et sa réputation, ont été affectés par une allégation de faits dans une publication ou une émission). De plus, cette dernière recommandation précise bien, en son considérant 15 sur le droit de réponse, qu'« il est souhaitable qu'il soit tenu compte des caractéristiques du média et du service concernés ».

Droit de réponse ou de réécriture ?

L'article 5 du décret comporte des risques importants d'atteinte à la liberté d'expression. En effet, cet article autorise le demandeur du droit de réponse à préciser que « sa demande deviendra sans objet si le directeur de publication accepte de supprimer ou de rectifier tout ou partie du message à l'origine de l'exercice de ce droit ».

Cette disposition dénature le principe même du droit de réponse : permettre la réponse est une chose, effacer toute trace de publication en est une autre, sans aucune commune mesure. Voilà, instaurée par simple décret, une mesure efficace non seulement de censure mais également de « rectification », voire d'effacement de l'histoire et de la mémoire. Va-t-on aussi retoucher les photos et vidéos, remettant ainsi au goût du jour des pratiques staliniennes ?

Et les droits des personnes mises en cause ?

Les droits des personnes mises en causes ne sont pas mieux respectés que ceux des éditeurs. L'article 1 prévoit que le droit de réponse ne s'exerce pas selon la procédure définie par le décret lorsque la nature du service en ligne permet de formuler directement des observations. Les blogs et autres sites participatifs constituent typiquement de tels services, puisqu'ils permettent le commentaire et la réaction directs à un article.

Cette disposition revient en fait à dénier tout droit de réponse à la personne qui serait fondée à l'exercer. En effet, on ne peut raisonnablement tenir pour équivalents un commentaire perdu parmi de nombreux autres (voire volontairement enfoui par l'éditeur du service) et un droit de réponse inséré en évidence comme requis par la loi sur la liberté de la presse. En outre, un commentaire peut être ultérieurement supprimé ou rendu inaccessible par un éditeur indélicat.

Un gâchis amplifié

Déséquilibré, disproportionné, portant gravement atteinte à la liberté d'expression des éditeurs de services en ligne ainsi qu'aux droits des personnes mises en cause sur ces services, ce décret d'application vient donc encore renforcer les défauts de l'article 6-IV de la LEN. Plus de trois après, un mauvais décret parachève ainsi le gâchis créé par une mauvaise loi.

Pour plus de détails :

- Décret n°2007-1527 du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne et pris pour l'application du IV de l'article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. NOR : MCCT0758750D
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=MCCT0758750D
- Projet de décret relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne et pris pour l'application du IV de l'article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (document de travail version ayant circulé en mars 2007)
http://www.tntlex.com/public/projet_decret_droit_reponse.pdf
- Communiqué d'IRIS. « LEN - Prescription des infractions de presse sur Internet : mieux utiliser le droit de réponse ». 20 avril 2004.
http://www.iris.sgdg.org/info-debat/comm-prescription0404.html
- Conseil constitutionnel. Décision n°2004-496 DC du 10 juin 2004. Loi pour la confiance dans l'économie numérique
http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2004/2004496/index.htm
- Analyse d'IRIS. « Le point sur le projet de loi relatif à l'économie numérique avant examen en deuxième lecture au Sénat » (section consacrée au droit de réponse). Mars 2004
http://www.iris.sgdg.org/actions/len/point-len0304.html#9
- Conseil de l'Europe. Recommandation Rec(2004)161 du Comité des ministres aux Etats membres sur le droit de réponse dans le nouvel environnement des médias. 15 décembre 2004.
https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=802817
- Recommandation 2006/952/CE du Parlement européen et du Conseil sur la protection des mineurs et de la dignité humaine et sur le droit de réponse en liaison avec la compétitivité de l'industrie européenne des services audiovisuels et d'information en ligne. 20 décembre 2006.
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/site/fr/oj/2006/l_378/l_37820061227fr00720077.pdf
- IRIS. Dossier complet sur la LEN. Depuis novembre 2002.
http://www.iris.sgdg.org/actions/len

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