Du rôle des financements publics de recherche dans le développement du Libre
Étude de cas : la chaîne de CAO Alliance1

Meryem Marzouki2,3 et Alain Greiner3

21 janvier 1999

Résumé

Partant du constat que la collectivité consent des investissements lourds pour la recherche, qu'il s'agisse de recherche publique ou de crédits de recherche attribués à l'industrie, et analysant le « retour sur investissement » du point de vue économique et social, les auteurs montrent qu'il est possible d'augmenter la productivité de cet investissement collectif par le développement du Libre. Après la présentation d'une étude de cas dans le domaine de la CAO en micro-électronique pour montrer la viabilité de ce modèle, cet article en propose une généralisation, en indiquant un certain nombre de propositions incitatives pour son développement.

Mots-clé :

Économie non marchande, recherche, logiciels et données libres, investissements publics, valorisation, micro-électronique

1. Introduction

Les logiciels libres sont l'objet d'une attention institutionnelle et médiatique tout à fait remarquable depuis une année environ en France. Cette publicité est liée au procès de la société Microsoft aux États-Unis, et on peut regretter qu'elle se focalise sur les systèmes d'exploitation, et en particulier sur Linux. Lorsque la question est élargie, notamment par des acteurs associatifs, elle demeure néanmoins restreinte au logiciel, voire aux outils de développement de logiciels. Par ailleurs, la question de la production du Libre est beaucoup plus rarement abordée que celle de sa simple utilisation.

Jusqu'ici, les quelques tentatives de réflexion sur l'économie du logiciel libre se cantonnent à définir un modèle économique du libre dans le cadre marchand. On montre alors - parfois avec quelques accomodements - que le logiciel libre peut trouver sa place dans ce modèle marchand, et que l'on peut faire du profit avec le logiciel libre : les besoins en formation et en maintenance sont le plus souvent convoqués pour décrire l'activité de service qui peut être créée autour du logiciel libre, au point que l'on se fait fort de convertir le principal défaut reproché au logiciel libre - sa difficulté d'utilisation par le non-informaticien - en argument économique.

Dans ces modèles, les activités économiques associées à la diffusion du logiciel libre apparaîssent marginales, et l'impact du Libre sur l'économie en général est rarement mis en lumière. Pourtant, le développement du Libre (connaissances, logiciels, bases de données), associé aux possibilités de diffusion et d'accès à l'information offertes par Internet, peut être un puissant outil favorisant la croissance économique.

Cet article présente une analyse du fonctionnement de la recherche publique dans le domaine de la micro-électronique. Après avoir montré la nécessité d'augmenter la productivité de l'investissement consenti par la collectivité, les auteurs proposent quelques pistes pour développer cette productivité au moyen du concept de Libre. Ce véritable « retour sur investissement » pour la collectivité viendrait s'ajouter aux raisons de principe pour l'accès libre aux résultats de la recherche : disponibilité du savoir, solidarité internationale [1], [2], mais surtout éthique, qui devrait interdire la notion même de brevet dans les domaines comme ceux des biotechnologies et du génie génétique [3].

2. L'éducation et la recherche ressortent du secteur non marchand

« L'exception culturelle défendue avec tant de peine face aux assauts sans cesse renouvelés (GATT, AMI, ...) est en fait, faut-il le rappeler, l'exclusion de la Culture des accords économiques et commerciaux. » [4].

Affirmer, comme le rappelle la députée européenne Aline Pailler, que la Culture n'est ni un produit commercial, ni un investissement financier, est un choix politique qui permet de soustraire la production culturelle à la logique marchande, pour autoriser les États à lui apporter le soutien nécessaire et souhaité par les citoyens.

En vertu de quoi ce statut particulier ne serait pas reconnu à la production de connaissances techniques et scientifiques ?

Il y a évidemment un problème de frontière : si l'éducation et la recherche ressortent du secteur non marchand, qu'en est-il exactement du savoir-faire et des techniques qui en sont issus ?

2.1. Des investissements lourds consentis par la collectivité

Outre la part importante du budget de l'État consacrée chaque année à l'éducation - de la maternelle à l'enseignement supérieur - et à la recherche, tant en termes de personnels que d'infrastructures pour la formation, la recherche publique - en particulier la recherche appliquée - bénéficie également de financements contractuels, permettant de rémunérer des chercheurs non permanents (doctorants, ou chercheurs contractuels comme les post-doctorants). La part la plus importante de ces financements provient de programmes nationaux ou européens de recherche portant sur des thématiques spécifiques.

Ces programmes visent à faciliter la mise en commun de moyens, et concernent des consortiums composés d'industriels et de laboratoires publics répondant ensemble à des appels d'offre. Il s'agit de financements publics, consentis par la collectivité. En règle générale, la puissance publique - nationale ou européenne - finance 50% des coûts totaux (salaires compris) pour les partenaires industriels, et 100% des coûts marginaux (coûts, salaires compris, uniquement induits par le projet) des partenaires universitaires. Dans le cadre de ces projets, chaque partenaire conserve la propriété des résultats qu'il a pu obtenir, et tous les droits qui en découlent, y compris le droit de commercialisation aux conditions qu'il est libre de décider.

Les résultats obtenus peuvent donc être directement rentabilisés par les industriels impliqués. On peut cependant s'interroger sur le « retour sur investissement » au bénéfice de la collectivité.

2.2. Quel « retour sur investissement » pour la collectivité ?

Le financement par la collectivité de programmes de recherche lourds répond à des besoins à la fois économiques et sociaux qui ne peuvent être dissociés :

L'université et la recherche publique ont donc, à ce stade, joué pleinement leur rôle, et rempli leur « contrat économique et social ».

Qu'en est-il des partenaires industriels de ces contrats de recherche, et de ce qu'ils doivent à la collectivité qui les a financés ? S'il est légitime qu'un État - ou une union d'États - finance et soutienne son industrie, c'est afin que l'intérêt général soit satisfait. Le rôle de l'industrie est donc à la fois économique, par l'augmentation des richesses, du progrès et du bien-être, et social, par la création d'emplois.

Or il semble que la redistribution des profits ne soit pas à la hauteur des investissements publics. La lecture quotidienne de la presse pourrait suffire pour en convenir, mais on se contentera de méditer sur cette comparaison présentée par le journaliste Serge Halimi dans sa préface à [5] : depuis 1974 en France, la production de richesses a augmenté de 70%, alors que le nombre de chômeurs était multiplié par sept. On sait également que les profits des entreprises, en France comme partout ailleurs, proviennent essentiellement des transactions financières : l'économiste René Passet indique ainsi qu'en 1997, le montant des transactions sur les marchés des changes représentait plus de cinquante fois le montant des échanges de biens et de services [6].

L'investissement de la collectivité ne reçoit donc pas un retour suffisant, et il conviendrait de le rendre plus productif.

2.3. L'exploitation directe par les industriels

Les partenaires industriels des projets de recherches financés à l'aide de fonds publics font en général un usage efficace des résultats de leurs recherches. Néanmoins, il est rare que les industriels impliqués dans ces projets développent des produits entièrement nouveaux. Cela s'explique principalement par des choix de rentabilité à court terme. L'expérience acquise par les auteurs au cours de leur participation à des projets en commun avec des industriels dans le domaine de la CAO micro-électronique montre que les partenaires industriels se limitent en général dans ces cas aux activités suivantes :

En résumé, les financements publics sont plus souvent utilisés par les industriels pour faire évoluer des produits existants que pour développer de nouvelles technologies.

On trouvera toutes informations utiles sur les programmes de recherche et développement, les conditions dans lesquelles ils se déroulent, et les possibilités de valorisation associées en consultant les ressources suivantes : site web du ministère de l'Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie, pages consacrées à la technologie, la recherche et l'espace [7], site web du Centre National de la Recherche Scientifique, pages relatives à la politique scientifique [8], et serveur d'informations CORDIS de l'Union Européenne [9].

2.4. Exploitation des résultats de la recherche publique

La production des institutions de recherche publique ne se limite pas à des publications scientifiques, ni à la formation de haut niveau. Dans le cas de la recherche appliquée, les objectifs portent sur des réalisations matérielles ou logicielles, sur la réalisation de base de données d'informations de tous ordres, ou encore sur la mise au point de procédés de types variés. Étant donné que le rôle d'une institution d'enseignement et de recherche n'est ni la fabrication ni la commercialisation, il s'agit rarement de « produits finis », utilisables en l'état : le résultat se présente sous la forme d'une maquette réalisée comme démonstrateur de la faisabilité de l'idée développée au cours de la recherche, ou, plus rarement, du prototype d'un futur produit industriel.

Il est malheureusement assez rare que ces maquettes ou prototypes issus de la recherche publique passent de l'état de démonstrateur à l'état de produit fini utilisable. Loin de résulter d'une mauvaise volonté de la part des chercheurs, cette situation, pour regrettable et difficile à reconnaître qu'elle soit, n'est que le produit de circonstances objectives :

On ajoutera à ces raisons objectives une raison plus générale : ce n'est pas le rôle social des institutions d'enseignement et de recherche de se substituer au tissu économique. Ce rôle doit donc être assumé par l'industrie, et en particulier par les PME.

Pour ce qui concerne les résultats de recherche obtenus par les laboratoires publics, les seules possibilités de valorisation industrielles sont fondées sur la cession de licence à un ou plusieurs industriels. Le détenteur des droits est l'autorité de tutelle des chercheurs : il s'agit de l'université, du CNRS, ou de tout autre centre public de recherche. À titre d'exemple, le CNRS recense, dans son CD-ROM réalisé en 1996 [8], le dépôt de 600 brevets (dont 300 en copropriété), 500 licences actives (dont 60% concédées à des PME), ainsi que 200 brevets déposés par des industriels à partir de résultats obtenus dans des laboratoires du CNRS.

Les tutelles des laboratoires de recherche publique sont dotées de structures spécifiques pour traiter des relations avec l'industrie, et des questions juridiques relatives à la propriété industrielle : directions des relations industrielles dans les universités, voire création de société à part entière pour ce faire. Ainsi, le CNRS a créé en 1992, avec l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR [10]), et d'autres organismes de recherche, la société France innovation scientifique et transfert (FIST SA). La société FIST assure la protection des résultats de recherche et leur valorisation (brevets, licences). Plusieurs autres organismes ont pour objectif la diffusion de la recherche et sa valorisation. Les structures toujours actives sont essentiellement préoccupées d'aide à la création d'entreprises, on en trouvera une liste sur le site web de l'ANVAR [10].

De 1980 à 1990, un groupement scientifique dépendant du CNRS a joué un grand rôle dans la diffusion des résultats de la recherche publique sous forme de logiciels : il s'agissait de l'agence nationale du logiciel (ANL), qui maintenait et diffusait un inventaire des logiciels issus de laboratoires de recherche.

À notre connaissance, il n'existe plus de structure comme l'ANL, qui permettait d'assurer une réelle visibilité des résultats de la recherche publique, même restreints aux logiciels. L'ANL proposait en effet ses catalogues sur plusieurs supports, dont un support télématique (Minitel). Si l'activité de l'ANL n'avait pas été suspendue, il ne fait nul doute que son site web serait une source précieuse et efficace de diffusion de l'information.

Malgré l'existence de nombreux organismes ayant pour objectif la valorisation commerciale de la recherche publique, la consultation de leurs sites web montre que la diffusion par ce moyen des résultats issus des laboratoires de recherche reste très limitée. Il revient donc à chaque laboratoire de diffuser comme il le peut l'information sur ses productions. Force est pourtant de constater que les laboratoires de recherche ne disposent ni des ressources humaines pour s'y consacrer, ni de moyens financiers à y affecter. Le résultat est une absence de diffusion de l'information sur les résultats de la recherche publique.

Lorsqu'un laboratoire bénéficie de relations avec des partenaires industriels, potentiellement intéressés par la transformation d'un prototype en produit et sa commercialisation ultérieure, ou lorsque certains de ses doctorants choisissent de tenter la création d'une entreprise une fois leur formation achevée, ils s'engagent dans une aventure bien risquée. Les embûches de tous ordres nécessitent à la fois des compétences juridiques, techniques, et commerciales, et sont extrêmement consommatrices de temps, d'énergie et d'argent. Un tel investissement reste dissuasif, d'autant qu'il n'est pas possible de se contenter de contrats-types de cession de licence : chaque cas est différent, et les directions des relations industrielles des autorités de tutelle n'ont pas forcément conscience des enjeux éthiques, techniques ou commerciaux spécifiques à un domaine de recherche et à un marché donnés. Il s'ensuit souvent un renoncement à la simple idée de transfert des résultats de la recherche, qui restent ainsi confinés dans les laboratoires.

2.5. Augmenter la productivité de l'investissement collectif par le Libre

Le concept de Libre peut être un moyen important de valorisation de la recherche publique ou conduite sur financements publics. En effet, une distribution sous licence de type GPL (GNU General Public Licence [11]) permettrait à la fois de préserver la propriété intellectuelle du logiciel par ses auteurs et par le laboratoire, tout en s'affranchissant de tous les problèmes de contrat de cession de licence. Ainsi allégée, la procédure de transfert technologique peut être systématisée à peu de frais, et devenir très incitative pour tous les laboratoires, qui savent l'importance de la visibilité acquise dans leur domaine de recherche dès qu'un transfert de technologie a pu être réalisé. Cette procédure protège également les laboratoires contre les risques liés à une cession de licence exclusive à un seul industriel : rappelons que ces résultats sont des prototypes, et non des produits finis. L'industriel doit donc procéder à la finalisation du produit avant sa mise sur le marché, et il peut arriver que la commercialisation soit abandonnée, pour toutes sortes de raisons (temps de mise sur le marché rédhibitoire, surtout pour des domaines en développement rapide, absence de robustesse du prototype face à des applications en vraie grandeur, etc.). Enfin, le rôle incitatif de l'allègement de la procédure de transfert technologique est déterminant pour les PME, existantes ou en création, qui ne possèdent évidemment pas des moyens comparables à ceux des grosses sociétés industrielles.

Du point de vue de la rentabilité financière pour la collectivité, la distribution des résultats de la recherche sous licence de type GPL peut être également très intéressante, pour peu qu'elle soit intelligemment contrôlée. Le concept de Libre n'entraîne pas forcément la gratuité, et on peut envisager une rétribution financière pour le laboratoire, ainsi que pour l'autorité de tutelle, chaque fois qu'un résultat de la recherche publique est commercialisé par une entreprise. Les fonds ainsi collectés contribueront à alimenter à leur tour d'autres recherches, et à rémunérer d'autres chercheurs, soit ponctuellement sur contrat du laboratoire, soit par création de nouveaux postes de chercheurs permanents. Cette rétribution financière ne suppose pas l'exclusivité du transfert technologique à une société donnée, puisque c'est le prototype universitaire qui est l'objet du transfert, alors que c'est le produit de la société qui est commercialisé par ses soins. Une même idée peut donc donner lieu à plusieurs produits différents, commercialisés par des sociétés différentes. Elle ne suppose non plus aucun abandon des droits de propriété intellectuelle sur le prototype.

Du point de vue de la création d'activité économique, la distribution des prototypes universitaires sous licence de type GPL peut donner naissance à une importante activité économique : outre l'incitation qu'elle constitue pour la création de PME exploitant commercialement les résultats de la recherche publique, au même titre que des grosses sociétés, des activités économiques spécifiques au transfert de technologie peuvent être créées. On peut citer d'abord tout le secteur lié aux études de marchés : il est clair que les sociétés ne vont pas forcément prendre le temps de rechercher le prototype qui pourrait leur convenir, et il y a là place pour des structures intermédiaires qui y consacreraient les compétences nécessaires. On peut envisager également d'autres maillons dans la chaîne entre le prototype universitaire et le produit fini commercial : test du prototype en environnement réel, adaptation de ce prototype à d'autres applications et à d'autres environnements, améliorations du prototype, élaboration de documentation adaptée, traductions en d'autres langues, etc. Autant d'activités économiques potentielles dans le secteur des services.

On voit donc que la distribution libre des résultats de la recherche publique sous licence de type GPL peut être source de richesses, sans pour autant porter atteinte à la diffusion gratuite de ces résultats lorsqu'elle ne débouche pas sur une commercialisation. La section suivante présente une étude de cas dans le domaine de la micro-électronique, expérimentée dans le laboratoire d'appartenance des auteurs.

3. Étude de cas : la chaîne de CAO Alliance

Alliance est une chaîne de CAO (conception assistée par ordinateur) de circuits intégrés VLSI. Il s'agit d'un gros logiciel, de plus d'un million de lignes de code en langage C, découpé en modules correspondant à la réalisation des différentes étapes de la conception d'un circuit [12]. Il constitue le résultat des travaux de plusieurs dizaines de chercheurs depuis plus de dix ans, et demeure en constante évolution par l'ajout de modules innovants4. Les caractéristiques du logiciel, les usages multiples auxquels il se prête, ainsi que sa valorisation économique en même temps que sa diffusion sous forme de logiciel libre, sont détaillés et analysés dans la suite, après une présentation du contexte de recherche.

3.1. Contexte de l'étude de cas

Cette étude de cas se situe à l'articulation des domaines de la micro-électronique et de l'informatique. Il s'agit de domaines de pointe, débouchant sur un marché en pleine expansion, et dont les applications sont considérées comme parmi les plus génératrices de richesses pour le futur. Les applications induites, comme le multimédia, les réseaux de télécommunications - et en particulier la téléphonie mobile -, la télévision haut débit et toutes les applications de traitement du signal qui en découlent, sont de surcroît des secteurs à très forte rentabilité financière.

Les travaux réalisés sont développés par le département ASIM (architecture de systèmes intégrés et micro-électronique) du laboratoire LIP6 de l'université Pierre et Marie Curie, associé au CNRS. L'équipe comporte une cinquantaine de chercheurs, dont vingt permanents, chercheurs au CNRS et enseignants-chercheurs de l'université. Le domaine s'y prêtant, les recherches menées au sein du département sont essentiellement de type appliqué, en coopération étroite avec les industriels concernés. Le financement des recherches, hors salaires des chercheurs permanents, est donc à plus de 80% d'origine contractuelle : au cours des cinq dernières années, les contrats de recherche ont représenté environ 5 millions de francs par an pour le département ASIM. Plus de la moitié des chercheurs doctorants et plusieurs chercheurs post-doctorants sont rémunérés grâce aux contrats de recherche.

Ces financements correspondent à des contrats dans le cadre de programmes mettant en collaboration des partenaires universitaires et industriels. Les financements les plus importants sont d'origine européenne (programmes ESPRIT et MEDEA). Dans ces projets européens, le laboratoire intervient soit en tant que partenaire associé d'un industriel, soit en tant que partenaire à part entière. Les principaux partenaires du département ASIM au cours des dernières années ont été BULL, PHILIPS, ST-MICROELECTRONICS, THOMSON, ALCATEL, le CNET et le CEA/DAM. Il est important de noter que si les industriels concernés participent évidemment à la définition des objectifs du programme de recherche, et sont intéressés à son aboutissement, ils n'interviennent pas directement dans l'activité de recherche du laboratoire. En particulier, l'université conserve la propriété des résultats obtenus dans le cadre de ces projets et reste maître de sa stratégie de valorisation.

3.2. Un logiciel et des bibliothèques libres

Le département ASIM distribue librement et gratuitement via le réseau Internet la chaîne de CAO de circuits intégrés Alliance [13]. Il s'agit d'une trentaine d'outils logiciels, ainsi que d'un ensemble de bibliothèques de cellules permettant de concevoir et de dessiner les masques d'un circuit intégré VLSI. Une cellule est un composant élémentaire qui est destiné à être utilisé et ré-utilisé dans différentes « puces ». Une fois le dessin des masques obtenu (à l'issue de la dernière étape de la chaîne de CAO), il est possible de faire fabriquer le circuit ainsi conçu. Alliance peut être installée sur des stations de travail UNIX, ou sur des PC sous Linux.

Les différents outils logiciels de la chaîne Alliance sont distribués sous licence GPL [11] depuis quelques années. Cela signifie que non seulement le code exécutable, mais également le code source est accessible aux utilisateurs, qui peuvent ainsi modifier et enrichir les outils. Les bibliothèques sont distribuées sous licence LGPL [14]. Alliance est donc un logiciel libre. En outre, la chaîne de CAO est disponible gratuitement, soit par téléchargement (ftp anonyme) à travers le réseau Internet à partir du site web du département ASIM, soit expédiée sous forme d'un CD-ROM à ceux qui en font la demande.

La chaîne Alliance est installée et utilisée dans plus de deux cents universités dans le monde, et est également utilisée depuis trois ans comme support d'enseignement par l'université des Nations-Unies. La reconnaissance de la valeur scientifique du logiciel s'est concrétisée en 1994 par l'attribution du prix Seymour Cray [15] à l'équipe de chercheurs.

Bien que le nombre de développeurs actifs dans le domaine de la CAO VLSI ne soit pas comparable au nombre de développeurs impliqués dans la conception de systèmes d'exploitation - comme Linux - ou de logiciels applicatifs grand public, une dizaine de contributeurs extérieurs au laboratoire participent au développement de la chaîne Alliance. Par ailleurs, le laboratoire reçoit en moyenne une vingtaine de courriers électroniques hebdomadaires, provenant d'utilisateurs confrontés à des difficultés d'installation et de mise en oeuvre. En effet, le problème posé par la distribution gratuite est évidemment le support des utilisateurs, d'autant que la mise en oeuvre d'une chaîne de CAO est extrêmement complexe, au point que les vendeurs de logiciels commerciaux de CAO tirent une partie significative de leurs revenus des activités de formation et de support.

3.3. Un support pour l'enseignement

L'objectif premier du développement de la chaîne de CAO Alliance était pédagogique : il s'agissait de fournir aux étudiants et aux enseignants de la filière un ensemble complet d'outils couvrant toutes les étapes de la conception des circuits intégrés, les outils commerciaux étant extrêmement coûteux, et généralement peu adaptés à une présentation pédagogique des méthodes de conception [16].

La chaîne est conçue comme un ensemble d'outils et de procédures permettant d'exécuter les différentes phases de la conception d'un circuit intégré depuis sa spécification jusqu'à sa production. Alliance permet donc à la fois l'acquisition des concepts méthodologiques et l'expérimentation. Il s'agit d'une chaîne ouverte, chaque outil pouvant fonctionner indépendamment des autres, et de nouveaux outils peuvent y être adjoints. Les formats de fichiers utilisés sont les formats standards de l'industrie.

Afin d'assurer l'apprentissage pédagogique, des tutoriels sont mis à la disposition des apprenants. Ils peuvent être utilisés dans une formule d'auto-apprentissage aussi bien que comme support d'enseignement et de travaux pratiques. Ces tutoriels sont complétés par une documentation en-ligne de chaque outil et commande, consultable de la même façon que le manuel du système Unix (commande « man »). Les tutoriels comprennent des exercices de complexité progressive. Toute la documentation d'Alliance est librement et gratuitement diffusée, au même titre que le logiciel lui-même.

L'expérience d'enseignement avec Alliance à l'Université Pierre et Marie Curie date de 1991 [17]. Des cours, travaux dirigés et travaux pratiques ont été construits autour de la chaîne de CAO, tout en prenant en compte ses évolutions qui suivent l'état de l'art. Ces enseignements sont dispensés à plusieurs niveaux : maîtrise Informatique, maîtrise EEA, DEA ASIME (Architecture des systèmes intégrés et Micro-électronique, organisé conjointement avec d'autres universités et grandes écoles), DESS CISAN (Circuits intégrés et systèmes analogiques et numériques). Outre les étudiants de ces filières universitaires, des auditeurs libres sont accueillis chaque année pour suivre la formation autour d'Alliance. Il s'agit en général d'enseignants de pays étrangers qui utilisent Alliance pour leurs propres enseignements. Selon les disponibilités des enseignants, la densité d'utilisation d'Alliance dans un même pays, et l'existence d'accords de coopération entre les universités, il arrive que des formations soient dispensées à la demande dans des universités étrangères, en plus du cours effectué à l'université des Nations-Unies.

3.4. Une plate-forme pour la recherche

La chaîne Alliance n'est pas un support figé destiné uniquement à l'enseignement. Du point de vue de la recherche, Alliance sert de plate-forme expérimentale à tous les chercheurs de l'équipe dans le domaine de la CAO. En effet, l'évaluation d'un nouvel algorithme ou d'une nouvelle méthode nécessite de développer un prototype logiciel, et Alliance fournit aux chercheurs une infrastructure robuste et bien maîtrisée pour ce faire, tout en réduisant les temps de développement d'un environnement d'évaluation. Par ailleurs, la chaîne Alliance est effectivement utilisée pour la conception de nouveaux circuits par les chercheurs du laboratoire.

Pour concevoir un circuit intégré, il faut disposer des bibliothèques adaptées à chaque technologie de fabrication, et ces technologies évoluent encore plus vite que les outils de CAO. Les concepts qui ont présidé à la définition d'Alliance permettent de répondre à ces objectifs. En effet, Alliance étant un logiciel conçu de façon modulaire, l'adjonction de nouveaux modules est facile, et ne remet pas en cause le fonctionnement des modules existants. Les bibliothèques relatives à chaque nouvelle technologie sont facilement réalisées, grâce au concept de bibliothèques de cellules portables : celles-ci permettent de concevoir des circuits intégrés indépendamment d'un procédé de fabrication donné. Un tel service ne possède pas d'équivalent commercial, car les bibliothèques de cellules sont généralement développées par les fabricants de circuits intégrés. Elles constituent de ce fait un élément décisif de la concurrence entre les fabricants, puisqu'elles sont incompatibles entre elles. Les bibliothèques de cellules d'Alliance, qui sont portables et indépendantes des constructeurs, permettent donc de se soustraire à cette véritable « captivité » entretenue par les sociétés commerciales. Pour finir, la chaîne Alliance permet de garantir l'interopérabilité à peu de frais : la plupart des formats standards, propriétaires ou ouverts, font tous l'objet de traducteurs de et vers le format interne d'Alliance, ce qui évite la multiplication des traducteurs entre les différents formats. Ainsi, des circuits VLSI d'une complexité de l'ordre du million de transistors ont pu être conçus en utilisant Alliance.

3.5. Création d'activité économique et d'emplois

La politique de distribution d'Alliance sous licence GPL ne s'oppose pas à une politique de valorisation commerciale. Parmi les quatre entreprises créées en 1997 et 1998 par des chercheurs du département ASIM, deux l'ont été dans le secteur de la CAO. Il s'agit des sociétés Advanced Electronic Design et Avertec. La première a été créée en 1997 par deux doctorants en fin de thèse et leur directeur de recherche, pour commercialiser une technologie de conception des opérateurs arithmétiques utilisés dans les circuits intégrés spécialisés dans le traitement du signal et de l'image. Cette technologie a initialement été développée par le département dans le cadre d'une coopération avec le CEA/DAM. La deuxième a été constituée début 98 par deux doctorants en fin de thèse, et quatre chercheurs ayant participé aux travaux, dans le but de commercialiser deux outils de CAO/VLSI, développés en coopération avec BULL et ST-Microelectronics dans le cadre de différents projets européens.

Les technologies commercialisées par les sociétés AED et Avertec sont la propriété de l'université. Elles ont fait l'objet d'un dépôt dépôt INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) par la Direction des Relations Industrielles de l'université. Pour chacune des entreprises créées, la première étape a consisté à négocier avec l'université un contrat de cession de licence de ses droits. Les entreprises nouvellement créées ne disposant pas de ressources importantes (il s'agit de SARL), ces contrats ne prévoient généralement pas de paiement initial, mais prévoient le versement d'un pourcentage (« royalties ») sur le chiffre d'affaire généré par la vente de produits mettant en oeuvre les technologies faisant l'objet du contrat. Un point important est que les contrats ne prévoient pas l'exclusivité de la cession de licence, sauf dans le cas de l'une des technologies que la société Avertec se propose de commercialiser. L'absence d'exclusivité permet d'envisager ultérieurement d'autres cessions de licence pour les mêmes technologies. Dans tous les cas, l'université conserve bien évidemment tous les droits de continuer les recherches sur ces technologies.

Parallèlement, les entreprises nouvellement créées signent une convention de coopération avec l'université, qui fixe les règles de la coopération entre l'entreprise et le laboratoire dont elle est issue. Cette coopération est absolument essentielle dans le modèle d'entreprise visé ici : en effet, dans le domaine des technologies de l'information, les évolutions sont très rapides  une technologie qui ne progresse pas est une technologie morte, et les recherches doivent donc se poursuivre. Or l'expérience montre que les activités proprement commerciale absorbent toute l'énergie d'une jeune entreprise : il faut analyser et comprendre le marché, définir les produits, produire la documentation (papier et électronique), promouvoir la technologie auprès des clients potentiels, négocier les contrats, etc. Cette activité commerciale est vitale pour l'entreprise. En l'absence d'une forte capitalisation initiale, cette activité commerciale se révèle incompatible avec une activité de recherche propre.

Par conséquent, le modèle d'entreprise visé prévoit que l'entreprise continue à s'appuyer durablement sur les recherches et études menées par le laboratoire dont elle est issue. Ces nouveaux développements technologiques feront l'objet de nouveaux contrats de cession de licence, dans des termes similaires à ceux négociés pour les technologies déjà licenciées. Du point de vue de l'entreprise, il s'agit dans un premier temps au moins, d'échanger un prélèvement durable sur son chiffre d'affaire (« royalties » payées à l'université), contre un allégement important de ses charges de R&D. Du point de vue du laboratoire, ce modèle garantit l'existence d'un canal de valorisation de ses recherches, et évite une brutale perte d'expertise lors du départ des chercheurs en fin de thèse.

4. De l'étude de cas à la généralisation du modèle

L'étude de cas présentée ci-dessus illustre la possibilité de diffusion du Libre dans d'autres secteurs que ceux des logiciels généraux et/ou grand public pour l'informatique. Elle montre aussi que cette approche n'est pas incompatible avec une exploitation commerciale et avec la création d'entreprise.

4.1. Analyse et enseignements à tirer

L'analyse de l'étude de cas présentée fait apparaître plusieurs points.

Tout d'abord, la chaîne de CAO Alliance n'est pas un logiciel libre dans sa totalité. En effet, si la majeure partie des outils composant Alliance, de même que les bibliothèques, est distribuée sous forme de source de programmes, les outils dont la technologie a fait l'objet d'une cession de licence commerciale ne sont distribués que sous forme de code exécutable, mais toujours gratuitement pour des usages non commerciaux. En tout état de cause, les auteurs des développements technologiques innovants restent maîtres de la forme libre ou commerciale de diffusion de ces productions. Alliance reste donc un logiciel libre, mais on peut considérer qu'un décalage existe entre l'état du logiciel distribué et son état réel au laboratoire. Ce décalage demeure, même si les versions successives d'Alliance comportent à chaque fois de nouveaux modules, puisque dans le même temps d'autres nouveautés ont été développées sans être immédiatement distribuées sous forme de code source.

Ensuite, certaines de ces technologies font l'objet d'une cession de licence avec exclusivité. Ceci interdit, pendant la durée d'un tel contrat, d'envisager la distribution sous forme de code source des modules concernés.

Ces deux points se justifient, en l'état actuel de la situation du Libre et du marché de la CAO micro-électronique. En effet, l'évolution des mentalités ne permet pas encore de faire admettre complètement l'idée que le Libre n'est pas incompatible avec l'activité économique, voire avec le cadre marchand. Les obstacles culturels sont nombreux, et la distribution de la majeure partie d'Alliance sous forme de logiciel libre n'a pas été acquise sans discussions avec les tutelles. Ce succès n'a pu être obtenu que par la pugnacité d'une équipe consciente des enjeux liés à la diffusion libre et gratuite des résultats de la recherche publique, alors que le discours dominant pousse exclusivement au dépôt de brevets. À titre d'exemple, l'existence de brevets pèse beaucoup plus lourd que la diffusion de logiciels libres dans l'évaluation des carrières des chercheurs. D'autre part, le modèle d'entreprise présenté dans cette étude de cas est beaucoup plus respectueux de l'investissement collectif que d'autres modèles, puisque les contrats de cession de licence prévoient des « royalties » pour les universités, et que de plus les entreprises créées le sont réellement à l'initiative des doctorants, qui possèdent la majorité des parts des sociétés et qui en maîtrisent la gestion. L'exclusivité de la cession de licence acceptée dans un cas est explicable, puisqu'elle résulte de la situation économique qui, en France, est très défavorable aux PME : disposer de l'exclusivité d'une technologie reste la seule garantie de viabilité pour une PME, sur le marché de la CAO de circuits intégrés.

Une difficulté importante liée à la diffusion libre d'Alliance est la charge de maintenance supportée par le laboratoire. L'absence d'une structure commune de maintenance et de support pour le développement du Libre issu de la recherche publique fait porter tout le poids des ressources nécessaires, humaines et financières, au seul laboratoire. Dans le cas d'Alliance, les réponses aux questions des utilisateurs, l'enregistrement et la correction des « bugs », l'intégration des nouvelles versions des différents outils, ainsi que la mise à jour des sites Internet pour la distribution, comme la diffusion elle-même du logiciel, constituent des tâches très lourdes, qui ne peuvent être assurées par les chercheurs. Le support aux utilisateurs est donc aujourd'hui assuré par un ingénieur contractuel à temps plein, rémunéré sur les contrats de recherche du laboratoire.

Malgré ces inconvénients, dûs pour une large part à l'absence d'une véritable politique publique de valorisation de la recherche dans un cadre plus large que le seul cadre marchand, le cas d'Alliance doit faire réfléchir, surtout dans un secteur aussi sensible que la CAO de micro-électronique. La distribution d'un logiciel libre dans ce domaine est souvent considérée comme une véritable hérésie, en l'absence d'une réflexion approfondie sur le rôle de l'université et de la recherche publique en économie de marché. La politique volontariste du département ASIM, résultat de la réflexion collective d'une équipe de recherche, montre pourtant qu'il y a des avantages certains à concilier diffusion libre et commercialisation, comme deux moyens complémentaires de valorisation de la recherche.

Du point de vue du département, le choix de diffuser Alliance sous licence GPL a fortement contribué à la visibilité nationale et internationale du laboratoire dans le domaine de la CAO de circuits et systèmes intégrés, comme en témoignent l'importance de la diffusion du logiciel et les récompenses scientifiques obtenues. Cette visibilité contribue fortement à asseoir la crédibilité d'une équipe de recherche, et à développer ses relations industrielles, préalable nécessaire à l'obtention de contrats de recherche.

Du point de vue des chercheurs et des doctorants concernés, la réalisation d'un outil logiciel réellement utilisable dépasse largement ce que l'on attend d'un démonstrateur de faisabilité associé à une thèse. Cela peut être considéré comme un investissement pour les doctorants : le devenir des docteurs impliqués dans le développement de la chaîne Alliance montre que cette expérience est une référence appréciée sur le marché de l'emploi.

Du point de vue de la société dans son ensemble, la création de jeunes entreprises par des doctorants en fin de thèse permet de conserver l'expertise, et d'empêcher une « fuite des cerveaux » qui devient dramatique dans des secteurs comme la micro-électronique et l'informatique. Cette « fuite des cerveaux » est une réalité : une dizaine de doctorants ayant obtenu leur thèse dans le département ASIM sur des sujets relatifs à la CAO travaillent actuellement en Californie dans ce même domaine. La création d'entreprises et la politique de coopération avec celles-ci a permis de freiner ce mouvement, et la plupart des docteurs impliqués dans les entreprises issues du laboratoire continuent à faire bénéficier le laboratoire de leur expertise en participant à la réflexion sur les directions de recherche, ainsi qu'à l'encadrement des jeunes chercheurs.

Du point de vue économique, la distribution gratuite de la chaîne Alliance sous licence GPL n'a pas empêché la valorisation de certains outils. Au contraire, la chaîne Alliance a fourni l'infrastructure initiale, permettant le développement de prototypes suffisamment robustes pour être évalués par des utilisateurs industriels. Dans le domaine de la CAO électronique, distribution gratuite via Internet et valorisation commerciale ne visent pas du tout les mêmes utilisateurs : un laboratoire de recherche ou une école utilisera facilement un logiciel gratuit, sans garantie et sans support contractuel, à condition de disposer des sources. En revanche, un industriel recherche avant tout un interlocuteur commercial qui lui garantisse contractuellement un support, une formation et la pérennité de l'outil. Un utilisateur industriel achète donc moins un outil logiciel que le service associé à cet outil. La percée du système Linux dans le monde industriel, ou le choix fait par Netscape de rendre public le code source de son navigateur, prouvent que le logiciel libre peut être une option viable, y compris pour une utilisation industrielle. Néanmoins, le domaine de la CAO ne semble pas encore mûr pour cette évolution. Il conviendrait cependant d'accélérer ce processus de réflexion, par des mesures incitatives.

4.2. Créer une agence nationale de la recherche publique libre

La section 2.4 rappelait le rôle joué par l'Agence nationale du logiciel dans la diffusion de l'information sur les logiciels issus de la recherche publique. Une telle structure n'existe plus pour la diffusion de la recherche publique, et n'est pas remplacée par les organismes d'aides à la valorisation [10], qui ne proposent pas ce type d'information.
Plus généralement, les auteurs qui s'expriment sur le thème de l'économie du logiciel libre, comme [18], [19], [20], mettent en avant le problème du manque d'information sur ces logiciels et leur disponibilité, ce qui nuit à la diffusion et à l'utilisation du logiciel Libre. Pour y remédier, certains proposent la création d'une agence européenne pour le logiciel libre et les standards ouverts [19], ou d'un observatoire du logiciel libre [20]. L'idée générale est bonne, mais reste malheureusement dans les deux cas cantonnée aux logiciels, et semble, bien que cela ne soit pas clairement explicité, limitée aux logiciels pour l'informatique générale. Par ailleurs, ces propositions ne prennent pas en compte la nécessité de « retour sur investissement » pour la collectivité telle qu'analysée dans cet article.

Nous proposons une mesure du même ordre, qui consiste en la création d'une agence nationale de la recherche publique libre. Par rapport aux deux propositions mentionnées ci-dessus, cette mesure est à la fois plus restreinte en termes de secteur couvert, puisqu'elle ne concerne que les productions issues de la recherche publique, et bien plus large dans ses finalités, ainsi que dans les domaines d'activité économique - et donc les marchés potentiels - envisagés : ces domaines sont tous les domaines couverts par la recherche publique, sans exclusive. Le rôle principal de cette agence sera de promouvoir la diffusion du Libre issu de la recherche publique sous licence Agence Nationale du Libre Public. Cette licence ANLP serait du type GPL, impliquant le libre accès au code source, mais permettant une exploitation commerciale en échange de redevances payées à l'agence. Il conviendra d'étudier plus amplement si cette agence peut se concevoir dans le cadre européen, voire international, en fonction des différences de statut de la recherche dans d'autres pays. En tout état de cause, cette extension n'aurait aucun caractère obligatoire, mais la participation d'autres pays devrait être encouragée, ne serait-ce qu'à cause du caractère multinational des grandes entreprises. Son existence au niveau français aura déjà une valeur incitative en servant d'exemple.

Cette agence devrait présenter les caractéristiques suivantes :

Le rôle de l'agence est multiple :

4.3. Autres mesures incitatives

L'existence d'une agence nationale de la recherche publique libre, créée selon les lignes directrices définies ci-dessus, constituerait le principal encouragement au développement et à l'utilisation du Libre. D'autres mesures incitatives, notamment d'ordre fiscal, pourraient compléter le dispositif : ainsi, la base de calcul du crédit d'impôt-recherche pour les entreprises pourrait être élargie à l'utilisation de productions libres diffusées par l'agence. Pour les entreprises nouvellement créées, des fonds d'amorçage pourraient être accordés dès lors que l'objet de l'entreprise vise à commercialiser ces productions. On peut également envisager des réductions de charges salariales correspondant à l'embauche de jeunes doctorants pour aider à la commercialisation de ces mêmes productions. Ces embauches n'ont pas uniquement lieu dans des entreprises privées : l'agence elle-même a besoin de personnel technique et scientifique, et les quelques centres de ressources technologiques existants pourraient être renforcées dans leur rôle actuel de soutien aux PME. Le résultat de telles mesures incitatives serait bien entendu une forte motivation des entreprises à valoriser les productions de la recherche publique diffusées sous licence ANLP : lorsqu'une masse critique de telles entreprises sera atteinte, l'évolution des mentalités pourra être effective, et le concept de Libre pourra prendre son essor.

5. Conclusion

Après une analyse des relations recherche-industrie, ainsi que du rôle social et économique de chaque partenaire, on a pu montrer que la rentabilité des investissements publics consentis pour l'éducation et la recherche pourrait être largement augmentée. Cet article propose un moyen d'augmenter cette rentabilité par la distribution libre, mais non gratuite pour l'utilisation commerciale, des résultats de la recherche publique. La proposition de création d'une agence nationale de la recherche publique libre, avec la définition de ses attributions, et la définition d'une nouvelle licence de distribution inspirée de la licence GPL, constituent une première piste. Cette proposition permet à la fois de meilleures relations recherche-industrie, une réelle diffusion de l'information innovante, un encouragement à la production comme à l'utilisation du Libre, ainsi qu'une meilleure rentabilisation de l'investissement public. Notre ambition est que cette proposition serve de fondement à un large débat, au moment où le projet de loi sur l'innovation et la recherche vient d'être adopté en Conseil des ministres [21], pour être discuté par le Parlement.

Notes 

1 Cet article a été rédigé pour le Colloque « Autour du Libre », organisé à Brest du 25 au 27 janvier 1999. http://webbo.enst-bretagne.fr/tig/logicielLibre/.

2 IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire)
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4 Aucune publication scientifique sur Alliance ne sera citée ici, puisque ce n'est pas l'objet de cet article. Le lecteur intéressé trouvera néanmoins une liste de ces publications sur le site web de l'équipe [22].

Références

[1] Bernard Lang. Ressources Libres et Indépendance Technologique. Colloque Inforoutes et Technologies de l'Information, Forum Initiatives 97, Hanoi, octobre 1997. http://www.aful.org/publi/articles/hanoi.html.

[2] Bernard Lang. Des logiciels libres à la disposition de tous. Le Monde Diplomatique, janvier 1998. http://www.monde-diplomatique.fr/1998/01/LANG/9761.html.

[3] Directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. Union européenne, juillet 1998. http://europa.eu.int/eur-lex/fr/lif/dat/fr_398L0044.html.

[4] Aline Pailler, D'où parle M. Bourges ? Le Monde, page 12, dimanche-lundi 6-7 décembre 1998.

[5] Philippe Labarde et Bernard Maris, Ah Dieu ! que la guerre économique est jolie. Albin Michel, 1998.

[6] René Passet, Un système contre nature. Manière de voir, (42): 22-24, novembre-décembre 1998.

[7] Serveur MENRT, pages Technologie, Recherche, Espace. Ministère de l'Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie. http://www.education.gouv.fr/rechtech/.

[8] Serveur CNRS, pages Politique Scientifique. Centre National de la Recherche Scientifique. http://www.cnrs.fr/politsci/.

[9] Serveur CORDIS, service d'information communautaire sur la recherche et le développement. Union Européenne. http://www.cordis.lu/fr/.

[10] Serveur ANVAR. Agence nationale de valorisation de la recherche. http://www.anvar.fr/.

[11] GNU General Public Licence. Free Software Foundation. http://www.gnu.org/copyleft/gpl.html.

[12] Frédéric Pétrot, Alliance: a complete CAD system for VLSI design. LIP6/ASIM, 1997. http://asim.lip6.fr/alliance/overview/.

[13] Serveur LIP6/ASIM, pages Alliance. Laboratoire d'Informatique de Paris VI, Département d'Architecture des Systèmes intégrés et de Micro-électronique. http://asim.lip6.fr/alliance/.

[14] GNU Library General Public Licence. Free Software Foundation. http://www.gnu.org/copyleft/lgpl.html.

[15] L'équipe Alliance remporte le concours Seymour Cray 1994. Laboratoire d'Informatique de Paris VI, Département d'Architecture des Systèmes intégrés et de Micro-électronique, octobre 1994. http://asim.lip6.fr/team/distinctions/cray94/.

[16] Marie-Martine Paget, Marie-Minerve Rousset-Louërat et Anne Derieux, Apprendre avec Alliance. In Cinquième rencontre francophone sur la didactique de l'informatique, pages 427-442, Monastir, Tunisie, avril 1996.

[17] Serveur LIP6/ASIM, pages Enseignements sous la responsabilité du département LIP6/ASIM. Laboratoire d'Informatique de Paris VI, Département d'Architecture des Systèmes intégrés et de Micro-électronique. http://asim.lip6.fr/education/.

[18] Jean-Paul Smets-Solanes, L'économie du logiciel libre. Smets.com International consulting, 1998. http://www.smets.com/it/tco/economie_libre.html.

[19] Roberto Di Cosmo et Dominique Nora, Le hold-up planétaire, Calmann-lévy, 1998.

[20] Marie de Besses, Romain Kobylanski et François Miller, Pourquoi créer un observatoire des "logiciels libres" ? CUEFA, décembre 1997. http://www.cuefa.inpg.fr/~francois/oll/article_oll/.

[21] Projet de loi sur l'innovation et la recherche. Ministère de l'Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie, janvier 1999. http://www.education.gouv.fr/realisations/technologie/innov.htm.

[22] Serveur LIP6/ASIM, pages Publications scientifiques en CAO. Laboratoire d'Informatique de Paris VI, Département d'Architecture des Systèmes intégrés et de Micro-électronique. http://asim.lip6.fr/alliance/publications/outilscao/.