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Loi sur la liberté de communication

Rapport du sénateur Jean-Paul Hugot (RPR), vice-président de la Commission des affaires culturelles du Sénat - Rapport n° 154 (1999-2000)
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N° 154

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 22 décembre 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication,

Par M. Jean-Paul HUGOT,

Sénateur.

[...] Voir les numéros :

Assemblée nationale (11ème législ.) : 1187, 1541, 1578, 1586 et T.A. 325.

Sénat : 392 (1998-1999).

Audiovisuel et communication.

[...]

EXAMEN DES ARTICLES

TITRE Ier : DU SECTEUR PUBLIC DE LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE

Article 1er A (Chapitre VI (nouveau) du titre II de la loi du 30 septembre 1986)

Responsabilité des prestataires techniques à raison des contenus des services de communication audiovisuelle en ligne

I. Position de l'Assemblée nationale

L'article 1 er A résulte de l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement présenté par M. Patrick Bloche et les membres du groupe socialiste. Comme plusieurs autres ayant même objet, cet amendement tendait à clarifier la responsabilité des fournisseurs d'accès et d'hébergement à raison des contenus illicites des services de communication audiovisuelle disponibles sur un réseau électronique.

Le gouvernement s'en est remis, pour son adoption, à la sagesse de l'Assemblée nationale, estimant que les questions soulevées méritaient un examen juridique approfondi, mais que les amendements présentés pouvaient constituer une " base de travail ".

On examinera successivement la " problématique " de cet amendement et ses dispositions, qui participent d'une conception quelque peu minimale de la responsabilité des prestataires techniques.

1. Les données du problème de la responsabilité des intermédiaires techniques

Comme l'a noté au cours du débat la ministre de la culture et de la communication, les amendements présentés anticipaient sur le projet de loi sur les services en ligne dont le dépôt prochain a été annoncé. On peutle regretter, car l'ensemble de la problématique de la réglementation -et de la régulation- des services " en ligne " mérite d'être appréhendée de manière globale.

Cependant, la démarche de l'Assemblée nationale apparaît justifiée.

Le développement rapide des services en ligne de toute nature, les polémiques soulevées par certaines décisions de justice, nécessitent qu'on ne laisse pas s'accréditer l'idée que l'internet est une " zone de non-droit ", ni se perpétuer des violations du droit.

Sur le " Net " comme ailleurs, en effet, le principe de la liberté d'expression doit trouver ses limites dans le respect des lois et des droits d'autrui. Sur le " Net " comme ailleurs, il est interdit de porter atteinte à la vie privée ou au droit à l'image, de diffuser des oeuvres en violation des droits de propriété littéraire et artistique, de provoquer à des crimes ou délits ou d'en faire l'apologie, de diffuser des images pornographiques de mineurs ou accessibles à des mineurs...

Certes, la responsabilité civile ou pénale à raison des contenus des services en ligne doit d'abord, et essentiellement, être celle des " fournisseurs " de ces contenus, auteurs ou éditeurs des messages litigieux, et non de ceux qui transmettent ou hébergent ces contenus.

Comme l'observe très justement notre collègue Ladislas Poniatowski, auteur de la proposition de loi n° 393 (1998-1999) relative aux prestataires techniques de l'internet, les services offerts sur l'internet sont multiples, depuis des services de communication très proches de l'activité éditoriale classique, jusqu'à d'autres bien différents de ces modèles classiques : pages personnelles, " bulletin boards ", forums de discussion, qui permettent à tout abonné à un service d'accès d'être également " fournisseur de contenus ".

Et l'on peut penser avec lui que cette hétérogénéité interdit une transposition pure et simple à internet " des règles de droit traditionnelles, et notamment celles qui touchent au régime de la " responsabilité éditoriale en cascade ". On doit admettre en effet que " si la responsabilité des éditeurs de contenu fait l'objet d'un large consensus, celle des intermédiaires techniques -qui ont une connaissance limitée, quand elle n'est pas inexistante car impossible, des informations qu'ils transmettent ou stockent sur le réseau, est contestable ".

Cependant, bien souvent, les " fournisseurs de contenus ", éditeurs de sites ou intervenants sur ces sites, ne peuvent être identifiés qu'à travers les indications détenues par les prestataires de services techniques. Ce sont également ces derniers qui ont, en dernière analyse, la capacité d'interdire l'accès à des contenus illicites.

Une irresponsabilité totale des prestataires techniques , même si elle apparaissait plaidable, pourrait donc avoir pour conséquence l'impunité des auteurs ou éditeurs de contenus préjudiciables à des tiers ou constitutifs d'infractions.

. Les prestataires de services techniques, comme le proposait le récent rapport du Conseil d'Etat " Internet et les réseaux numériques ", doivent donc être soumis à une responsabilité de droit commun. Il convient également que puissent être mises à leur charge, comme le suggérait le même rapport, des exigences spécifiques " pour permettre notamment l'accomplissement dans de bonnes conditions des missions de la police et de la justice " :

" - les intermédiaires doivent être à même de fournir, en tant que de besoin, l'identité de leurs abonnés, sans pour autant être obligés de vérifier celle-ci ;

" - l'hébergeur doit vérifier qu'un responsable de site a été désigné (chaque site devant porter la mention de son responsable) et être à même de fournir, en tant que de besoin, ses coordonnées ;

" - les intermédiaires sont soumis à un régime de responsabilité de droit commun, sauf en cas d'activité éditoriale ;

" - un organisme de corégulation doit être créé ;

" - le juge pénal peut ordonner de faire cesser la mise à disposition du public d'un message susceptible d'être constitutif d'une infraction pénale. "

. La réflexion communautaire en cours sur la proposition de directive sur le commerce électronique , partie de la définition d'une assez large irresponsabilité des prestataires de services techniques, semble évoluer dans le même sens : l'accord politique récemment intervenu au Conseil Marché intérieur du 7 décembre 1999 prévoit ainsi de compléter les dispositions applicables aux fournisseurs d'accès, aux prestataires de service de stockage temporaire (" caching ") et aux hébergeurs (articles 12 à 14) par un alinéa permettant " à un tribunal ou à une autorité administrative, conformément aux services juridiques des Etats membres, d'exiger du prestataire de service qu'il mette un terme à une violation ou qu'il prévienne une violation ".

L'article 15 de la proposition de directive, qui exclut la mise à la charge des prestataires techniques de toute obligation générale de surveillance du contenu des services, a de même été complété par un alinéa nouveau permettant aux Etats membres d'obliger les prestataires à " informer promptement les autorités publiques compétentes d'activités ou d'informations présumées illicites auxquelles se livreraient les destinataires des services qu'ils prestent ou de communiquer aux autorités judiciaires, à leur demande, les informations permettant d'identifier les destinataires de leur service avec lesquels ils ont conclu un accord d'hébergement ".

Deux nouveaux considérants renforcent, pour l'un, les obligations mises à la charge des " hébergeurs ", qui, pour " bénéficier d'une limitation de responsabilité " devront, dès qu'ils prennent " effectivement connaissance ou conscience du caractère illicite des activités, agir promptement pour retirer les informations concernées ou rendre leur accès impossible ", et, pour l'autre, prévoient que les Etats membres pourront imposer aux prestataires techniques, sinon des obligations de surveillance à caractère général, du moins des " obligations de surveillance applicables à un cas spécifique ".

. La jurisprudence des tribunaux nationaux a également amorcé une définition de la responsabilité civile, en particulier, des fournisseurs d'hébergement1( *), responsabilité qui ne se confond d'ailleurs nullement, contrairement à ce que l'on a parfois prétendu, avec la responsabilité éditoriale, mais qui se fonde sur le droit commun défini par l'article 1383 du code civil, l'hébergeur étant tenu à une obligation générale de prudence et de diligence.

Il lui appartient, à ce titre, de prendre les précautions nécessaires pour ne pas léser les droits des tiers et il doit mettre en oeuvre, à cette fin, des moyens raisonnables d'information, de vigilance et d'action (par exemple en attirant l'attention des créateurs des sites sur " le nécessaire respect des droits des tiers " , en prenant " les mesures raisonnables qu'un professionnel avisé mettrait en oeuvre pour évincer de son serveur les sites dont le caractère illicite est apparent ", en procédant le cas échéant à la fermeture du site).

Les fournisseurs d'accès, quant à eux, peuvent se voir contraints de communiquer les éléments permettant d'identifier leurs abonnés auteurs de contenus illicites2(*).

2. Le dispositif proposé par l'article 1er A

Le chapitre VI (nouveau) " Dispositions relatives aux services en ligne autres que de correspondance privée " que l'article 1er A propose d'insérer dans la loi de 1986 comporte trois articles :

* le premier de ces articles, l'article 43-6-1 (nouveau) impose à toute personne offrant un service d'accès à des services en ligne " autres que de correspondance privée " de proposer à ses clients un moyen technique permettant de restreindre l'accès à certains services ou de les sélectionner.

Cet article reprend en fait l'article 43-1, introduit dans la loi de 1986 par l'article 15 de la loi de 1996 de réglementation des télécommunications, qui imposait la même obligation aux fournisseurs d'accès aux services visés au 1° de l'article 43, c'est-à-dire aux services de communication audiovisuelle en ligne, soumis à une obligation de déclaration préalable.

L'article 1er B supprimant cette obligation de déclaration préalable et par conséquent le 1° de l'article 43, il était donc nécessaire de transférer dans le chapitre VI nouveau les dispositions issues de l'article 15 de la loi de 1996. On observera qu'il est dès lors également nécessaire de supprimer, par coordination, l'article 43-1, ce que votre rapporteur vous proposera de faire par un amendement à l'article 1er B.

* le deuxième article, l'article 43-6-2 (nouveau) prévoit l'irresponsabilité des fournisseurs d'accès à des services de communication audiovisuelle en ligne, ou des " hébergeurs " de tels services, en cas " d'atteinte aux droits des tiers " résultant du contenu de ces services, sauf si :

- ils ont eux-mêmes contribué à la création ou à la production de ce contenu -c'est-à-dire s'ils n'ont pas agi seulement comme prestataires techniques mais également comme " fournisseurs de contenu " ;

- ou si, saisis par une autorité judiciaire -et seulement dans ce cas- ils n'ont pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu, sous réserve " qu'ils en assurent directement le stockage "- ce qui semble indiquer que cette obligation s'adresse uniquement aux " hébergeurs ".

La responsabilité des prestataires techniques est donc définie de façon minimale par rapport à la proposition de directive comme par rapport à " l'obligation générale de prudence et de diligence " qui résulte du droit commun et qui s'impose, comme l'ont relevé les tribunaux français, à tout professionnel- qui reste libre par ailleurs d'organiser cette responsabilité au sein de relations contractuelles lui permettant de " se retourner " contre le responsable primaire. Ainsi, un prestataire de service d'hébergement qui aurait connaissance des contenus illicites des services qu'ils héberge ne serait pas tenu d'intervenir -de quelque manière que ce soit- avant d'être saisi par une autorité judiciaire.

En outre, on relèvera que la rédaction retenue ne semble viser que le cas où les contenus litigieux léseraient les droits des tiers et non où ils seraient constitutifs d'une infraction pénale.

* Enfin, l'article 43-6-3 (nouveau) fait obligation aux fournisseurs d'hébergement de transmettre, là encore lorsqu'ils sont saisis par une autorité judiciaire, les éléments d'identification " fournis " par la personne ayant " procédé à la création ou à la production du message " ainsi que les éléments techniques permettant de localiser l'émission de ce message, un décret en Conseil d'Etat devant déterminer ces éléments ainsi que la durée de leur conservation. On observera que ces obligations ne sont assorties d'aucune sanction.

II. Position de la commission

Comme les auteurs de l'amendement, votre rapporteur estime qu'il est utile, compte tenu du rapide développement des services de communication " en ligne ", de progresser dès maintenant dans la recherche de solutions permettant de faire respecter sur Internet les règles relatives à la responsabilité civile ou pénale sans pour autant faire des prestataires de services techniques des " boucs émissaires " de cette responsabilité, ni les considérer comme les responsables éditoriaux des messages litigieux.

Pour autant, il paraît normal que les prestataires techniques assurent pleinement la responsabilité de droit commun qui doit être la leur, et aussi qu'ils soient tenus de collecter les informations permettant le cas échéant de " remonter " jusqu'aux auteurs ou éditeurs de contenus illicites.

Votre commission vous propose donc d'adopter une nouvelle rédaction de l'article 1 er A destinée à en clarifier le texte mais aussi à définir de manière un peu plus exigeante les obligations qui doivent incomber aux prestataires de services techniques.

L'article 43-6-2 (nouveau) prévoirait ainsi :

- que les prestataires techniques sont tenus, d'une manière générale, d'une part, de s'assurer de l'identité de leurs clients et usagers -et notamment des responsables éditoriaux des sites- et, d'autre part, de conserver les données de connexion aux sites hébergés pendant un délai qui sera fixé par décret ;

- qu'ils ne puissent dégager leur responsabilité que s'ils n'ont pas participé à la réalisation des contenus illicites, cela va de soi, mais aussi s'ils ont fait preuve d'une certaine " diligence ".

Ainsi, seraient-ils tenus de communiquer aux tiers faisant valoir un intérêt légitime (par exemple une atteinte à leur vie privée ou la violation de leurs droits de propriété intellectuelle) les coordonnées des auteurs ou éditeurs des messages incriminés, ou, pour les hébergeurs de site ayant connaissance du caractère illicite de contenus, de mettre en demeure leurs auteurs ou éditeurs de les retirer ou, le cas échéant, de fermer les sites litigieux.

Bien sûr, ces obligations doivent rester, comme le soulignait le jugement précité du TGI de Nanterre, de l'ordre des " mesures raisonnables " que l'on peut exiger d'un " professionnel avisé ", et il est tout à fait normal qu'un prestataire technique apprécie le caractère illicite d'un contenu " au regard de ses compétences propres ". Mais on ne peut admettre pour autant qu'il ait " le droit " de demeurer passif en face d'une atteinte manifeste à la loi dont il aurait connaissance.

- De même, l'article 43-6-3 prévoirait de sanctionner pénalement le non-respect des obligations d'identification des responsables de contenus, ou de conservation des données de connexion, ainsi que le refus de déférer à des demandes d'information de l'autorité judiciaire.

Les peines applicables seraient, pour les personnes physiques, 6 mois d'emprisonnement et 50 000 F d'amende, éventuellement assorties d'une peine complémentaire d'interdiction temporaire ou définitive d'exercer l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise.

Les personnes morales seraient passibles d'une peine d'amende de 250 000 F, ainsi que de peines complémentaires d'interdiction temporaire ou définitive d'exercer leur activité, de fermeture temporaire ou définitive des établissements ayant servi à commettre les faits incriminés, ou de publication de la décision prononcée.

Article 1er B (Article 43 de la loi du 30 septembre 1986)

Déclaration préalable des services de communication audiovisuelle autres que les services de radiodiffusion sonore ou de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre ou distribués par le câble

I. Position de l'Assemblée nationale

. L'article 1er B supprime l'obligation de déclaration préalable à laquelle sont soumis les services de communication audiovisuelle autres que les services de la radiodiffusion sonore ou de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre ou distribués par le câble.

Cette disposition, destinée essentiellement aux services diffusés sur l'internet, s'inscrit dans la logique " libertaire " qui préside actuellement au développement du " réseau des réseaux ", et prend acte de la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité, pratique d'obtenir la déclaration de la multitude de " services " plus ou moins sommaires, cela va jusqu'à la page web de tel ou tel internaute, diffusés sur internet.

II. Position de la commission

Votre commission a adopté à cet article un amendement de coordination : la suppression du 1° de l'article 43 impose en effet celle de l'article 43-1, dont les dispositions sont par ailleurs reprises, comme on l'a déjà indiqué, à l'article 43-6-1 (nouveau) inclus dans le chapitre nouveau inséré par l'article 1er A dans la loi de 1986.

[...] Sous réserve de l'adoption des amendements proposés, votre commission demande au Sénat d'adopter le présent projet de loi. [...]

 

(dernière mise à jour le 16/06/2019) - webmestre@iris.sgdg.org