IRIS Actions / Fichiers /

Immigration : encore un « détail » biométrique

Analyse de Meryem Marzouki pour IRIS - 24 octobre 2007

Une large mobilisation s'est affirmée, à juste raison, contre l'amendement introduisant les tests ADN de filiation dans le projet de loi sur l'immigration adopté le 23 octobre 2007. Toutefois, les prises de positions qui ont reçu le plus d'attention médiatique ont ignoré que cet amendement s'inscrit dans une logique de contrôle biométrique, en constant développement depuis quelques années déjà, notamment mais pas uniquement à l'encontre des étrangers.

Une nouvelle pierre a été ajoutée à l'édifice par un autre amendement au projet de loi sur l'immigration. Son texte est obscur : « L'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est complété par un alinéa ainsi rédigé : "Il en est de même des bénéficiaires de l'aide au retour mentionnée au dernier alinéa du I de l'article L. 511-1." ». Traduction : ils seront fichés par leurs données biométriques (photographie et empreintes digitales). La CNIL n'a pas soufflé mot, elle est pourtant directement concernée.

Voilà des personnes qui, de retour dans leur pays volontairement et dans un cadre tout à fait légal, vont grossir le nombre des criminels « parce qu'à prononcer [leurs] noms sont difficiles ». Tout comme les étrangers non européens sollicitant une carte de séjour, ou ceux en situation irrégulière, déjà stigmatisés par ce même article L. 611-3 du CESEDA. On se souvient qu'en application de cet article, le gouvernement avait voulu ficher en sus les enfants, hébergeants et visiteurs des étrangers en situation irrégulière. Mais à la suite de recours formés par des associations, le Conseil d'État a annulé l'arrêté ministériel de création du fichier ELOI.

La déjà sinistre conjonction de « l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement » en un ministère prend ainsi une dimension insoupçonnée avec cet amendement : le codéveloppement, dont l'aide au retour constitue officiellement une dimension, suppose donc le fichage biométrique de ses bénéficiaires. On ne pouvait tout de même pas les marquer au fer, cela ne se fait quasiment même plus pour les animaux. Tous comptes faits, la question de savoir si les étrangers ont une âme ne semble pas mériter une nouvelle controverse : seul importe leur corps, identifiable et authentifiable à merci.

L'amendement a été proposé par Éric Ciotti, adopté par la Commission des lois de l'Assemblée nationale avec le soutien de Thierry Mariani, puis adopté en plénière avec avis favorable du ministre, enfin confirmé au Sénat. Il reste à espérer que l'article 62 qui en résulte dans le texte définitivement adopté soit contesté dans la saisine du Conseil constitutionnel, puis invalidé.

Ciotti rime ainsi avec Mariani : le fichage biométrique et les tests ADN s'inscrivent dans une même logique d'identification des personnes par leurs caractéristiques corporelles. Les techniques biométriques se classent en effet en trois grandes catégories selon le type d'analyse : biologique (dont le test ADN), comportementale (démarche, tracé de signature, frappe clavier...) ou morphologique (empreintes digitales, géométrie de la main, traits du visage, iris de l'oeil...). Certaines existent depuis longtemps : on se contentait alors de parler d'anthropométrie, terminologie qui, par sa référence à l'histoire policière, suscitait une certaine méfiance dans la population, en tout état de cause une réaction mitigée, loin du consentement social actuel.

La nouveauté de la biométrie réside dans l'automatisation de la mesure et de la reconnaissance des caractéristiques d'un individu, c'est-à-dire dans le couplage entre anthropométrie et informatique. Le regain d'intérêt qu'elle suscite découle directement de la disponibilité, à coût de plus en plus bas, d'outils et de systèmes de collecte et d'analyse rapide des échantillons. C'est alors un boulevard qui s'est ouvert, à la fois pour les fournisseurs et pour les utilisateurs potentiels de ces systèmes.

Du point de vue des fournisseurs, la biométrie est un marché en expansion, qui s'avère très lucratif : l'International Biometric Group, une firme de consultant dont les clients sont des États et des sociétés commerciales, prévoit une constante augmentation des revenus du marché de l'industrie biométrique, pour passer de 3 milliards de dollars US en 2007 à 7,4 milliards en 2012 (hors ADN). La firme le dit clairement : cette croissance est entraînée par des programmes gouvernementaux à large échelle, ayant un effet structurant sur ce marché.

On note aussi l'augmentation des crédits à la recherche académique dans ce domaine et plus largement dans le secteur des techniques de surveillance et de contrôle. Malgré des bénéfices escomptés certes sans commune mesure, cela suscite par conséquent un intérêt accru pour des développements scientifiques qui viendront, en un cercle particulièrement vicieux, renforcer l'expansion de l'industrie du contrôle. La dimension critique, voire simplement éthique, est rarement prise en compte : elle ne paie guère.

Du point de vue des utilisateurs potentiels, une démarche règne en maître : la rationalisation des procédures, sous-tendue par une logique managériale. Que les objectifs soient sécuritaires, administratifs ou marchands, que l'utilisateur soit un service de l'État, un gérant de supermarché ou un directeur d'école, le but est identique: il s'agit de contrôler des flux de personnes et d'éviter des fraudes. Identification et authentification sont ainsi les deux mamelles de la biométrie. Et cela doit se réaliser dans la plus grande fluidité, aux postes frontière comme aux caisses de magasins ou à l'entrée d'une cantine, tout en mobilisant le moins de personnel possible.

Lorsque Nicolas Sarkozy dit vouloir « substituer la culture de la preuve à la culture de l'aveu », il illustre parfaitement cette logique de rationalisation, d'industrialisation pourrait-on presque dire, des procédures. Les efforts vont tous dans ce sens, à commencer par le renforcement de la police scientifique et technique.

On engrange donc des données sur tout et sur tous, qui finiront bien, à force d'interconnexions tous azimuts, par constituer des preuves. Ou plutôt des faisceaux de présomption tels que, dans cette logique d'inversion, la personne soupçonnée n'aura plus d'autre choix que d'apporter elle-même la preuve de son innocence ou de sa légitimité à prétendre à un droit.

Cette spirale infernale doit être arrêtée. Il est grand temps de se mobiliser en faveur d'un moratoire sur l'utilisation de la biométrie comme mode de preuve et pour la tenue d'un vrai débat national sur cette question, dans toutes ses dimensions.

(dernière mise à jour le 24/10/2007) - webmestre@iris.sgdg.org